Par Igor Martinache [1]
Déjà salué par la critique pour son premier film, Tu marcheras sur l’eau (2004), le jeune réalisateur israélien Eytan Fox confirme avec The Bubble qu’il possède non seulement un talent de cinéaste certain, mais aussi un regard sociologique aiguisé. La « bulle », c’est le surnom du quartier de la rue Shenkin à Tel Aviv, considéré à la fois comme le poumon culturel de la métropole israélienne, et comme un cocon superficiel, coupé des réalités de la guerre. C’est là que, colocataires, Noam, disquaire, Yali, gérant de restaurant, et Lulu, vendeuse dans une luxueuse boutique de cosmétiques qui rêve de devenir styliste, ont choisi de couler une adolescence prolongée. Une sorte de « Friends » à la sauce israélienne en somme. Jusqu’au jour où Noam accepte d’effectuer son service militaire. Affecté sur le check-point de Naplouse, il rencontre Ashraf, un jeune palestinien qui a grandi comme lui à Jérusalem. Et comme l’amour a ses raisons que la politique ne connaît pas, vous devinez ce qui peut arriver par la suite...
Une énième version modernisée de « Roméo et Juliette » vous direz-vous. Sauf qu’il y a bien plus que cela dans The Bubble. On y reçoit d’abord des images (certes reconstituées) de la vie quotidienne d’une certaine fraction de la jeunesse israélienne - mais aussi palestinienne-, qui bat en brèche bon nombre de préjugés que l’on peut se faire depuis la France. On peut aussi y comprendre comment les barrages terrestres, de par leur seule existence, peuvent constituer une importante source d’humiliations et de frustrations, en un mot de violence symbolique - mais aussi avoir des conséquences physiques néfastes. Rien que pour cela le film vaudrait déjà le détour. Mais sa portée dépasse la seule question du conflit israélo-palestinien.
C’est plus généralement une description assez fine des tensions qui traversent la jeunesse d’aujourd’hui, ou plus exactement les jeunesses (car « la jeunesse n’est qu’un mot » comme le rappelait justement Pierre Bourdieu [2]). On y retrouve mises en images un certain nombre des thèses développées par des chercheurs comme Olivier Galland ou Louis Chauvel, notamment sur la confrontation à une incertitude croissante, qui explique le prolongement indéfini d’un état adolescent -du moins pour celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ici, cette incertitude prend le visage radical de la guerre, contre lesquels les jeunes ont semble-t-il édifié leur bulle de superficialité. Semble-t-il, car dans leur quête de partenaire amoureux, on peut lire celle d’une place dans la société, dont l’acquisition est de fait sans cesse différée. Comme s’il s’agissait de faire « de nécessité vertu », aurait encore affirmé Bourdieu. Mais une bulle est par définition d’une constitution fragile, et la politique chassée par la porte revient rapidement par la fenêtre. Révélatrice est ainsi cette scène où, diffusant des tracts promouvant une « rave pour la paix » (sic), la petite bande semble surprise de rencontrer l’hostilité -pour ne pas dire plus- de certains passants.
La superficialité comme moyen de mettre à distance une réalité trop lourde à supporter. La thèse est séduisante et applicable à un grand nombre de situations (dont la possibilité de vivre librement son homosexualité, un thème qui occupe une grande place dans le film). On peut nuancer voire contester ce postulat, par exemple pour son fonctionnalisme. En tous cas, The Bubble en constitue une illustration magistrale. Et dans sa manière de mettre finement en scène les problèmes posés par les relations « interculturelles », peut être inscrit tout droit dans la lignée de films comme My Beautiful Laundrette [3] ou de Just a Kiss [4]. Rien que ça.