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Théorie critique de l’histoire. Identités, expériences, politiques

Un ouvrage de Joan W. Scott (Fayard, coll. "A venir", 2009)

publié le lundi 7 décembre 2009

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Par Abir Krefa [1]

Cet ouvrage est un recueil regroupant trois conférences données par Joan.W.Scott aux Etats-Unis entre 1989 et 1999 et traduites par Claude-Servan Schreiber. Joan.W.Scott y défend une écriture critique de l’Histoire, invite à interroger les catégories (en particulier identitaires) utilisées par les historiens, ainsi qu’à soumettre à la critique les présupposés et fondements de l’écriture de l’Histoire telle qu’elle est pratiquée.

La première conférence, intitulée « L’Histoire comme critique » (pp.13-63), débute par la description des attaques menées par les historiens américains contre le post-structuralisme, de leur apologie en faveur d’une pratique orthodoxe de l’Histoire, caractérisée par le culte de l’empirisme et de l’analyse quantitative, et par le refus des réflexions théoriques au nom de l’autonomie du sujet comme acteur de l’Histoire. Si le rejet du post-structuralisme est défendu par des historiens qui se situent dans la mouvance politique conservatrice - le refus de la « théorie » et de la critique étant conçues comme un antidote au « gauchisme » - l’intérêt des analyses de Joan.W.Scott est de montrer que c’est également le cas d’historiens marxistes pour qui les analyses anti-essentialistes de la « classe ouvrière » - ayant mis en évidence la pluralité des rapports de pouvoir traversant celle-ci - auraient contribué à l’échec du mouvement ouvrier. En s’appuyant sur les œuvres de Marx, Nietzsche, Adorno, et surtout de Foucault, Joan Scott entend par conséquent réhabiliter une écriture critique de l’Histoire. Elle appelle à l’historicisation des catégories et des concepts, à commencer par les catégories tenues pour transcendantales et anhistoriques (telle la raison). Des analyses de Foucault (qui, au travers de ses travaux sur la folie, a montré comment la mise en quarantaine de celle-ci a contribué à construire la place de la raison dans la définition de l’homme par lui-même), elle retient l’importance du rôle tenu par la différence et de l’exclusion dans la construction du sens.
Dans la seconde conférence- « l’évidence de l’expérience »- Joan.W.Scott nous livre une contribution stimulante à une pratique critique de l’Histoire. Elle procède en effet à la déconstruction d’un des présupposés fondationnels de l’Histoire politique : l’idée que c’est dans l’expérience vécue et partagée par des agents (comme celle des injustices et de la domination), qu’il faut trouver une explication à leur émergence comme catégorie identitaire et politique - qu’il s’agisse des catégories de « femmes », « d’homosexuels », de « colonisés », etc. Au lieu de traiter les catégories comme le résultat d’expériences partagées qui leur préexisteraient, elle invite à les tenir pour des « événements discursifs » (p.14). Refusant le présupposé d’une antériorité de l’expérience par rapport aux mots, elle montre qu’il faut considérer que c’est au travers du langage que les sujets et les groupes se constituent comme tels, qu’il faut s’attacher à examiner les conflits entre les différents systèmes discursifs, et à analyser l’émergence des catégories identitaires et politiques comme le résultat (contingent), du rapport de forces entre plusieurs systèmes discursifs. Enfin, dans la troisième conférence, elle s’intéresse aux modalités de constitution de l’identité collective. En s’appuyant sur l’exemple des mouvements féministes, elle montre comment une identité collective peut émerger : autrement dit comment, en dépit de la différence des objectifs et de la variation des situations sociales et historiques, l’identification ‘’femmes’’ a pu être possible.

L’ouvrage de Joan.W.Scott présente de nombreux intérêts, quoique parfois limités par la volonté de l’auteur d’opérer un déplacement complet des modes de questionnement dominants. Il offre d’abord un aperçu des débats historiographiques contemporains aux Etats-Unis. Il fournit des pistes expliquant les résistances à l’élaboration d’une Histoire critique. Il invite à interroger des modes de construction de l’Histoire au départ relativement subversives- telles celles des women’s studies- mais qui, faute de s’interroger sur les catégories utilisées elles-mêmes, sont en passe de devenir des ‘’traditions’’ et d’être intégrées dans l’Histoire classique. En effet, l’un des points intéressants soulevés par Joan.W. Scott est que si l’Histoire féministe ou celle des femmes s’est attachée à décrire les changements des conditions de ces dernières, et leur variabilité à travers le temps, la catégorie ‘’femmes’’ n’en est pas moins posée comme allant de soi, comme si seul son contenu avait subi des modifications. Toutefois, on peut se demander si en réhabilitant l’importance de la dé-nomination -trop souvent négligée par les historiens-, dans la construction sociale et politique des groupes, Joan.W.Scott ne tord pas un peu trop le bâton dans l’autre sens, en conférant au langage un pouvoir excessif et autonomisé, relativement, à celui (laissé de côté), des conditions objectives d’existence ainsi que du vécu des agents.

Enfin, en faisant le plaidoyer d’une Histoire qui historicise ses catégories ainsi que les rapports de pouvoir, cette contribution veut offrir la possibilité d’une déstabilisation de ces derniers, sans pour autant (ce dont Joan.W.Scott se garde) rien prescrire en ce sens. Cependant, les rapports de pouvoir sont presque uniquement vus au travers du prisme du langage, et sont donc quelque peu réduits à des conflits entre ‘’systèmes discursifs’’, sans prendre en considération les groupes (mobilisés ou non), en tant qu’ensemble d’agents partageant certaines caractéristiques, à la fois objectives et subjectives. Par ailleurs, l’intérêt politique que présente une déconstruction et une historicisation permanente des catégories est davantage posé comme allant de soi que démontré, comme si la raison scientifique et la raison politique étaient identiques. On peut en effet se demander si, bien qu’elle contribue à dénaturaliser les groupes (de ‘’femmes/hommes’’, de ‘’Noirs/Blancs’’, ‘’homosexuels/hétérosexuels’’, etc.) et donc à en dévoiler le caractère arbitraire (et politique), l’opération de déconstruction est utilement transposable dans le cadre de la construction de rapports de forces politiques moins défavorables. Les groupes dominés (qu’il s’agisse des ouvriers ou des femmes par exemple), pour se mobiliser et être reconnus en tant que tels, ont-ils d’autre choix que d’y œuvrer en mettant l’accent sur une identité découlant, au moins en partie, du partage de certaines expériences (celles de la domination et des injustices), de s’inscrire dans une tradition de luttes et de résistances passées, et de courir le risque de réifier- au moins temporairement- le groupe ? Or ce sont là autant de modalités contradictoires avec les caractéristiques de l’Histoire critique que Joan.W.Scott appelle de ses vœux.

NOTES

[1ATER en sociologie à l’Université de Limoges.

Note de la rédaction

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