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Une histoire collective (1962-1981)

Un ouvrage sous la direction de Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (La Découverte, 2008, 847 p., 28€)

publié le mardi 29 avril 2008

Domaine : Histoire

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Par Cédric Frétigné [1]

« La commémoration du vingtième anniversaire [de mai 68] voit ainsi l’entrée en scène des historiens restés longtemps réticents à en faire l’objet de leurs recherches. » (p.781) L’épilogue de l’ouvrage 68. Une histoire collective, rédigé par Philippe Artières, revient sur l’ambivalence des historiens avec la période qu’ils ont également connue comme acteurs pour beaucoup, comme témoins engagés pour certains. Ceci dit, depuis 1988, les travaux historiographiques se sont multipliés et ont fait éclater la centration sur mai, Paris, le quartier latin, les étudiants, etc.

L’ouvrage coordonné par Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel manifeste la volonté de mise en liens, d’établissement de configurations multiples. Hypothèse est faite par l’ensemble des contributeurs que l’acmé de 68 n’est rendue intelligible qu’à la seule condition d’opter pour une démarche généalogique (d’où une première partie sur l’avant, les années 60), comparative (des éclairages sur les tensions internationales, des mouvements voisins, etc.), focalisée sur une « histoire des mentalités » mais également sur une histoire « matérielle ». Ainsi les productions les plus significatives de l’époque font-elles l’objet d’articles visant à rappeler le terreau originaire de « Mai 68 ».

Quatre parties organisent les développements : de 1962 et la fin de la guerre d’Algérie à l’hiver 67-68 ; le printemps et début de l’été 1968 ; de l’automne 68 à l’élection de Valérie Giscard d’Estaing en 1974 ; le septennat giscardien jusqu’à l’arrivée de François Mitterrand au commande de l’Etat le 10 mai 1981. Chaque partie est structurée suivant un plan identique : un « récit » historique de plusieurs dizaines de pages rappelle les temps forts de la période ; l’analyse d’un film emblématique du moment poursuit le propos ; des objets phare sont ensuite pris comme analyseur des évolutions sociétales en cours (la minijupe au début des années 60, le transistor en mai, etc.) ; des situations internationales significatives sont traitées en s’attachant à leurs incidences sur la configuration française (engagement d’intellectuels, socialisation de futurs éléments d’extrême gauche) ; des lieux exemplifiant les dynamiques observées font également l’objet d’articles (la faculté de Nanterre et les bidonvilles, l’ORTF en 68, Lip et le Larzac au début des années 70) ; la position d’acteurs collectifs - de courts portraits d’acteurs individuels, célèbres ou anonymes, sont proposés tout au long du livre - est dépeinte (le PCF et la CGT en 68, les « établis » après, les « nouveaux philosophes » dans la deuxième moitié de la décennie 70) ; une rubrique dite « traverses » permet enfin de documenter un aspect important de la période, quoique apparemment non central voire « hors champ », mais faisant écho aux sujets traités dans le livre (par exemple, les grèves dans les théâtres en 68).

L’ambition poursuivie est donc importante. Bien que le volume soit de taille imposante, l’étendue de la période considérée (vingt ans), la diversité des thématiques abordées et le souci comparatif qui anime les coordinateurs conduisent, mécaniquement, à ne consacrer, que quatre à cinq pages à chacun des cent dix articles (si l’on exclut le texte qui ouvre chaque partie, le « récit », qui lui peut faire jusqu’à quarante pages). De fait, cette structuration par touche n’emporte pas totalement la décision. D’autant que, si l’on peut regretter la brièveté de certaines analyses, à l’inverse des redites se multiplient. Redites d’abord, entre le « récit » et les articles composant chaque partie ; redites ensuite, entre différents articles croisant des sujets marqués par leur proximité (combien d’analyses identiques, dans les termes mêmes, sur le rôle de la CGT en mai-juin 68 notamment) ; redites enfin, au sens où de nombreux contributeurs signant plusieurs articles, on retrouve fréquemment les mêmes grilles d’analyse appliquées à différents sujets. La tentation qui gagne alors le lecteur est de céder à l’évasion et de faire défection. Il me semble que la production d’approches complémentaires voire concurrentes aurait permis d’éviter ces répétitions et d’enrichir le procès historiographique.

Par ailleurs, à quelques notables exceptions près, les articles traitent toujours des mêmes. Les organisations étudiantes et d’extrême gauche font l’objet de toute une série d’articles : Ordre nouveau et Occident ne sont évoqués que comme figure repoussoir de celles-ci, opposants avec lesquels on fait le coup de poing. Quel rôle joue la droite réactionnaire durant cette période, et notamment ses mouvements de jeunesse ? Les stratégies de la CGT ou de la CFDT sont abondamment détaillées durant toutes ces années, mais celles des patronats (de la CGPME au CNPF) sont largement éludées. Les tactiques du PSU, du PCF, puis du PS sont commentées. Mais qu’en est-il de celles des partis au pouvoir, par-delà celles des personnalités du chef de l’Etat, du Premier ministre ou du Ministre de l’Intérieur (en 68 ou après) ?

Au final, 68. Une histoire collective ne remplit qu’imparfaitement l’objectif que ses coordonnateurs lui ont fixé. La démesure de l’entreprise offre peut-être un premier élément d’explication. Comment tailler si large sans perdre en densité d’analyse ? Mais, on peut également noter que le point de vue assumé par l’essentiel des auteurs conduit à choisir des entrées qui négligent certains pans de la réalité de l’époque (essentiellement, pour le dire vite, ce qui se situe de l’autre côté des barricades, du côté des pouvoirs en place), d’où la présence sur le mode mineur dans le livre d’acteurs pourtant majeurs (majorité parlementaire, patronat, ministère de l’Education nationale, etc.).

On peut partager avec les auteurs le souci de rendre justice aux acteurs souvent silencieux de l’histoire et tirer toutes les conséquences de leur prise de parole lorsqu’ils parviennent, comme en 68, à la rendre omniprésente dans l’espace public. Si l’on taisait toutefois que les pouvoirs en place, bien qu’ayant vacillé, n’ont jamais perdu le contrôle de la situation, on céderait alors à une forme de populisme. Or, en ces années, le pouvoir n’a jamais été vacant.

NOTES

[1Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris-XII Val-de-Marne.

Note de la rédaction

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