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Une société littéraire. Sociologie d’un atelier d’écriture

Un ouvrage de Frédéric Chateigner (Editions du Croquant, septembre 2008, 22€, 222 pages)

publié le vendredi 23 janvier 2009

Domaine : Littérature , Sociologie

Sujets : Art , Culture , Littérature

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Par Frédérique Giraud

Le présent ouvrage consiste en une monographie d’un atelier d’écriture d’adultes d’une grande ville de province. L’enquête a été menée par observation participante à découvert, à raison de deux soirées par semaine, entre décembre 2003 et juin 2004. Les ateliers d’écriture sont partie intégrante de ce que Claude Poliak [1] appelle les « univers de consolation » de l’écriture amateur, aux côtés des concours de nouvelles, de l’autoédition. Mais l’atelier d’écriture a cette particularité que l’activité d’écriture s’y fait en commun, en un lieu et un temps déterminés, et donc en public. L’atelier d’écriture se présente donc comme une institution encadrant et dirigeant le processus d’écriture. L’ouvrage est l’occasion de reposer la question déontologique et méthodologique de l’observation participante [2] : comment étudier en détail un atelier d’écriture sans y participer ? Les avantages de la position d’observateur participant surpassent-ils les risques de l’investissement dans le jeu que suppose la participation ? Mais également de s’interroger sur les rapports entre sociologie et littérature. Le risque est grand pour le sociologue de se prendre au jeu de l’écriture littéraire et de se « transformer en auteur », ainsi que l’a noté Claude Grignon [3].

Le premier chapitre est l’occasion pour Frédéric Chateigner de poser des repères sur l’offre d’ateliers d’écriture en France. Il faut noter que l’offre d’ateliers d’écriture est très diversifiée. L’auteur identifie plusieurs pôles autour desquels s’organise l’offre : les ateliers qui mettent l’écriture au profit d’autres fins (cure psychologique, apprentissage scolaire, insertion sociale, formation professionnelle), ceux qui ont pour but la pratique littéraire.

Le chapitre second s’intéresse à la trajectoire des participants analysée en termes de carrière. A travers l’étude d’une population de neuf écrivants, l’auteur montre que l’atelier d’écriture s’inscrit dans une succession d’étapes formant une carrière d’écrivant, celle-ci commençant avec les écritures intimes adolescentes, et se prolongeant à l’âge adulte. Frédéric Chateigner établit qu’il est heuristique de décrire l’écriture des amateurs comme une « déviance vénielle » (p 76). L’acticité d’écriture des écrivains amateurs n’est pas tenue socialement parlant pour un loisir parmi d’autres, elle suscite dans l’ensemble des milieux sociaux un certain étonnement, notamment de l’entourage. L’écrivain amateur est vu comme un « original » ou anticipe un tel sentiment de bizarrerie, les jugements de l’entourage professionnel, amical et familial sont fonction des métiers des écrivants. Ironie des collègues du jeune patron d’une entreprise de conseil financier, incrédulité moqueuse envers Jacqueline âgée de plus de 55 ans...l’écriture apparaît, dans tous les milieux sociaux et même dans le milieu du journalisme où l’activité d’écriture est coutumière, comme « une prétention déplacée » (p 80). L’écriture pour celui qui n’est pas reconnu comme écrivain, comme un professionnel de l’écriture est anormale, anomique. Elle n’apparaît comme une activité légitime qu’à l’adolescence et au-delà l’écriture adulte incongrue est tenue de rester secrète. Les participants d’un atelier d’écriture sont déviants, une seconde fois, par rapport à cette norme implicite du secret imposé aux « pratiques intempestives » (p 84) d’écriture. S’écartant d’une vocation silencieuse et solitaire, les écrivains amateurs s’engagent dans un atelier d’écriture, où ils espèrent apprendre à écrire. Frédéric Chateigner dessine ensuite un modèle de carrière sous-jacent aux différents parcours des écrivants étudiés. Des proto-écritures solitaires à la production d’écriture au sein de l’atelier s’étire un cheminement mêlant distance auto-ironique aux écritures adolescentes, passage de l’écriture intime à l’écriture socialisée. La première expérience d’atelier d’écriture est souvent vécue comme une libération, par rapport à l’isolement objectif de l’écrivant et face à l’indignité et l’autocensure de l’entourage. L’atelier qui imprime une contrainte dans l’expérience d’écriture des écrivants offre aussi l’attente d’un progrès dans l’écriture, avec en toile de fond la publication pensée comme une consécration. Chez tous les écrivains amateurs, la publication fait figure d’horizon lointain certes, mais toujours envisageable. Frédéric Chateigner se pose ensuite la question des raisons d’écrire qui animent les écrivants et oppose écritures de divertissement et écritures de salut. Les premières relèvent d’un plaisir d’écrire, du divertissement, à l’inverse les écritures de salut sont des entreprises de transformation de soi, dont l’écrivant attend un secours. Les représentants des écritures de salut sont ceux dont le travail se rapproche le plus du modèle de l’artiste (autonomie, inventivité, responsabilité), tandis que les représentants de l’écriture de loisir ont des emplois éloignés de ce modèle, le travail étant le plus souvent vécu comme une activité routinière.

Après avoir restitué le parcours des participants, Frédéric Chateigner analyse le déroulement de l’atelier d’écriture. Il s’attache aux particularités de l’atelier étudié : agencement général de l’atelier selon une logique de cursus et de programme, organisation de chaque séance, évocation des trois « soirées lecture » qui ponctuent l’année. Ainsi que le rappelle le titre de ce troisième chapitre « A l’école des lettres : le déroulement d’un atelier », la prégnance de l’univers scolaire s’impose dans l’atelier de Michèle dans l’environnement matériel (textes photocopiés dans des manuels, matériel d’écriture), organisation de l’espace, du temps, tours de parole, exercices d’étude de texte, notions sollicitées par les exercices. Face à ce cadre très scolaire Frédéric Chateigner étudie les réactions et participations des écrivants, qui s’opposent suivant leurs dotations en capital culturel. Dispositions face à la lecture et à la restitution des textes, aptitudes à apprécier et à critiquer les productions des écrivants opposent les participants. Les réactions à l’offre pédagogique de l’animatrice sont largement fonction de la position de chacun dans la carrière d’écrivain. Les heurts et les réussites de l’atelier montrent les divergences de jugements dues au décalage ou à la concordance entre la position et la carrière des participants au sein de l’atelier avec leurs propriétés sociales.

Le dernier chapitre de l’ouvrage beaucoup plus court que les précédents s’interroge sur le devenir des écrivants de l’atelier. Quel rôle l’atelier aura joué dans la trajectoire d’écriture des écrivains amateurs ? C’est à travers une seconde série d’entretiens menée un an plus tard, avec cinq des neuf participants à la première, que Frédéric Chateigner repère des évolutions dans la carrière typique tracée au chapitre second : avancée dans la carrière, mise en suspens de la pratique d’écriture, autolimitation ou sortie de la pratique. On peut regretter que la première partie de l’ouvrage, analysant la carrière d’écrivant en termes de déviance vénielle, ne soit pas plus mobilisée dans la description de l’atelier de Michèle. Au total, Frédéric Chateigner à travers l’étude d’un atelier d’écriture, sans prétendre à une illusoire représentativité, dégage des logiques générales des ateliers, et propose une description dynamique des trajectoires de ses participants.

NOTES

[1Poliak, Claude, Aux frontières du champ littéraire, Paris, Economica, 2006

[2Question traitée en particulier par Loïc Wacquant, Corps et âme : carnets autobiographiques d’un apprenti boxeur, Marseille/Montréal, Agone/Comeau & Nadeau, 2000

[3Grignon, Claude, « Composition romanesque et construction sociologique », in Grignon, Claude, Passeron, Jean-Claude, Le savant et le populaire : misérabilisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard, 1989, p 226

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