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Une sociologie de la Chine

Un ouvrage de Jean-Louis Rocca (La Découverte, Coll "Repères", 2010)

publié le mercredi 28 avril 2010

Domaine : Sociologie

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Par Pauline Gandré [1]

Dresser le portrait sociologique de la Chine d’aujourd’hui, tel est l’ambitieux projet de Jean-Louis Rocca [2] dans cet ouvrage, à l’heure où le pays a le vent en poupe. L’auteur dénonce d’emblée deux approches courantes dans les études sur la Chine : l’approche culturaliste et l’approche moderniste. La première verse dans l’essentialisme culturel en supposant la stabilité d’une civilisation chinoise qui modèlerait totalement les individus et la société, et qui ferait que les Chinois ne sont pas comme les Occidentaux. La seconde consiste à considérer que toutes les sociétés suivent une trajectoire historique et sociale universelle et que la Chine est par conséquent sur le chemin inéluctable de la modernisation.

S’opposant à ces deux approches, Jean-Louis Rocca cherche à tracer une troisième voie d’analyse, dans une perspective critique. Son objectif est de comprendre les apparents paradoxes qui traversent la société chinoise : développement rapide du capitalisme et omniprésence de l’État, montée de l’individualisme et forte obéissance aux règles collectives, augmentation des inégalités sociales parallèlement à celle du niveau de vie, démocratisation de la société et absence de pluralisme politique...

Si l’auteur s’intéresse à l’historicité de la société chinoise contemporaine, ce n’est pas pour accréditer l’idée que le passé détermine irrémédiablement le présent, mais pour analyser la façon dont les expériences antérieures de la Chine sont utilisées, intégrées et réinventées par ses habitants. Une des principales ruptures historiques étudiées par Jean-Louis Rocca est celle de la prise du pouvoir par le Parti Communiste Chinois en 1949 qui entraîne de profondes modifications de la stratification sociale, notamment du fait de la disparition de la bourgeoisie comme groupe social. Officiellement, la société chinoise est alors divisée en deux classes : celle des ouvriers (dont le nombre augmente considérablement) et celle des paysans, et une couche sociale : celle des intellectuels. Néanmoins, ces bouleversements impulsés par le pouvoir politique rencontrent des résistances au sein de la population. Celle-ci parvient à construire de nouvelles solidarités en dehors du contrôle social organisé au sein d’une société fonctionnarisée.

Jean-Louis Rocca montre alors que la politique d’ouverture, qui prend naissance à la fin des années 1970 et qui donne lieu à trente ans de réformes, permet ensuite certaines opportunités de mobilité sociale dont les relations sociales -dans et hors du système-représentent les principaux vecteurs. L’auteur distingue deux phases : celle qui commence en 1978 et s’achève au moment des événements de la place Tiananmen en 1989 puis celle qui débute en 1992 et remet plus directement en cause l’héritage socialiste. Les changements sociaux induits sont nombreux. La population urbaine passe de 17,92% de la population totale en 1978 à 45,68% en 2008. L’éducation est revalorisée et les universités recommencent à fonctionner normalement. Les politiques de privatisation, de tertiarisation et de nouvelle industrialisation s’accompagnent de reconfigurations entre groupes sociaux alors même que l’éclatement de la protection sociale marginalise les franges les plus pauvres de la population.

L’auteur évoque ensuite la naissance d’une « nouvelle société », provoquant un large débat sur la stratification sociale au sein de la société chinoise. La mobilité sociale est plus courante qu’auparavant malgré le maintien d’un fort déterminisme lié en particulier au lieu de naissance. Quatre groupes peuvent alors être distingués : les riches (fuyu), les individus qui ont atteint une petite prospérité (xiaokang), ceux qui ont juste de quoi se nourrir et se vêtir (wenbao) et enfin les individus en grande difficulté (pinkun). Les inégalités entre ces groupes et la difficulté à passer de l’un à l’autre sont de plus en plus importantes. La classe moyenne est alors perçue comme celle qui doit assurer le parcours de la Chine vers la modernité en garantissant dynamisme, rationalité et stabilité. Jean-Louis Rocca remarque néanmoins que « la frange idéale et représentative » de la classe moyenne ne doit guère dépasser 5% de la population totale.

A la question de savoir si les bouleversements sociaux des dernières décennies ont fait des Chinois des individus autonomes et libres, l’auteur choisit de répondre en se référant à l’analyse sociologique du processus d’individualisation par Norbert Elias. Pour ce dernier, individualisation et socialisation doivent être pensées de pair. Si la trajectoire historique occidentale donne de plus en plus de pouvoir à l’individu, elle donne également de plus en plus de poids à la socialisation [3]. Jean-Louis Rocca applique cette analyse au cas chinois en montrant que les institutions traditionnelles comme les comités de résidents, les employeurs, la famille, le Parti... laissent davantage de place à l’initiative tandis que les individus se donnent à eux-mêmes des normes sociales. L’auteur définit alors la société chinoise comme une « société de sujets ». Ainsi, l’opposition tradition/modernité ne permet pas d’expliquer les configurations observées en matière de sexualité ou d’éducation des enfants. Les pratiques témoignent d’un mélange complexe de liberté, de conformisme et de recherche de l’originalité.

Sur le plan politique, l’État et la population considèrent que la formation de citoyens éduqués et dotés d’une forte conscience politique doit précéder le suffrage universel, excluant l’hypothèse d’une généralisation des élections. Jean-Louis Rocca s’interroge sur la formule retenue pour favoriser la représentation des intérêts en-dehors de la pratique électorale. Il montre que la cooptation reste la règle dans ce domaine tandis que la contestation pour défendre les intérêts de certains groupes particuliers (manifestations des paysans ayant migré en ville, des ouvriers d’État licenciés, des propriétaires d’appartement...) tend à s’institutionnaliser.

L’ouvrage de Jean-Louis Rocca permet de déconstruire un certain nombre de préjugés tenaces sur la société chinoise et de se dégager des approches culturalistes et modernistes peu satisfaisantes, en s’appuyant sur une analyse historique bienvenue. Il témoigne également du fait que les modifications sociales ne sont pas seulement imposées du haut vers le bas, du pouvoir vers la population, mais qu’elles sont aussi construites par les réactions des individus, qui redéfinissent les relations sociales. Toutefois, on peut regretter que l’approche sociologique déployée dans cet ouvrage se limite souvent à une simple analyse de la stratification sociale chinoise interprétée en termes de capital politique, culturel, économique, social et symbolique, dans la lignée bourdieusiennne, et que le dépassement de l’opposition tradition/modernité reste quelque peu rhétorique.

NOTES

[1Élève à l’École Normale Supérieure de Lyon

[2Jean-Louis Rocca est chargé de recherche à Sciences Po Paris, spécialiste de la Chine

[3Elias, Norbert La Dynamique de l’Occident (1975) et La société des individus (1997)

Note de la rédaction

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