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Dominique Vidal, Les bonnes de Rio. Emploi domestique et société démocratique au Brésil

Aurélie La Torré
Les bonnes de Rio
Dominique Vidal, Les bonnes de Rio. Emploi domestique et société démocratique au Brésil, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Le regard sociologique », 2007, 312 p., EAN : 9782859399771.
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Notes de la rédaction

- Pour contacter Dominique Vidal : dominique.vidal@univ-lille3.fr

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Texte intégral

1Comme son titre l'indique, cet ouvrage entend montrer combien les travailleuses domestiques de Rio constituent un analyseur privilégié de la démocratie au Brésil, en particulier de la difficulté des Brésiliens à se penser et à se vivre comme une société de semblables. En centrant son étude sur les relations complexes des bonnes avec leurs employeurs, Dominique Vidal s'intéresse en effet aux rapports des milieux populaires avec les autres couches sociales, avec le souci constant d'éviter à la fois misérabilisme et populisme.

2Une première partie est consacrée aux choix opérés en matière de construction de l'objet et de présentation de données qualitatives très riches (entretiens, récits de vie, conversations informelles, observations). L'auteur propose ainsi une auto-analyse pertinente de sa position d'enquêteur face aux travailleuses domestiques. Être un homme blanc, Européen, perçu comme riche et comme le représentant d'une norme juste n'est pas neutre au regard de la prégnance d'un imaginaire sexuel racialisé chez ces femmes pauvres de couleur.

3La deuxième partie de l'ouvrage se compose de six portraits détaillés - trop ? - de travailleuses domestiques. Il s'agit pour l'auteur de dépasser le personnage social de la bonne, véritable obstacle à la compréhension sociologique de leur expérience. Faisant écho à un thème simmelien, l'auteur montre clairement que pour ces femmes issues des campagnes, la ville est identifiée au monde moderne et tenue comme le lieu de tous les possibles. Dès lors, leur migration est souvent liée à une ambition matrimoniale synonyme de « vie meilleure ».

4Dans une montée en généralité assez réussie, l'auteur saisit ensuite la difficulté d'exister en individu de ces femmes de milieux populaires sous deux aspects: le rapport à la ville et l'importance de la narration de soi dans la construction identitaire. L'intérêt de l'auteur pour les supports territoriaux de l'identité lui permet ainsi d'échapper à l'opposition entre sociologie des territoires et sociologie des déplacements. Résider chez son employeur ou avoir un domicile dans une favela peut donc selon les cas constituer un support ou une trappe de l'individualité d'une employée. De plus, face à une identité marquée par des ruptures biographiques et des stigmates sociaux, les enquêtées sont dans un effort permanent de cohérence narrative. Mais la référence à la moralité ou la recherche de l'accord avec leurs pairs traduisent avant tout leur besoin d'être rassurées sur leur normalité sociale. Une analyse originale de leurs reparties imaginaires aux injustices des employeurs révèle in fine le faible enracinement de l'idée d'égalité formelle au Brésil.

5Dans une quatrième partie, l'auteur analyse l'activité des travailleuses domestiques à travers les représentations et attentes de leurs patrons, la place de l'affectivité dans leurs relations et les conflits qui s'y nouent. Bien des différends tiennent en réalité à une représentation naturalisée des inégalités sociales et à la fragilisation identitaire des couches moyennes, comme en Argentine. Dominique Vidal met en évidence que le lieu commun de l'emploi domestique comme une survivance de l'esclavage est aussi une ressource rhétorique des employeurs pour éluder le contenu de leurs rapports. L'accent mis sur leur souci nouveau de respecter le droit social souligne également la vigueur de l'idée d'une inaptitude des couches populaires à être le moteur de la transformation sociale. Et malgré leur revendication d'une « commune humanité », leurs employées elles-mêmes éprouvent une difficulté certaine à pratiquer un « mépris d'indifférence » (I. W. Miller) à l'égard de leurs patrons. D'où l'écart persistant entre la société brésilienne et l'imaginaire égalitaire de la démocratie.

6Une dernière partie étudie la juridisation et la judiciarisation des rapports entre les bonnes et leurs employeurs à travers une ethnographie du syndicat et du tribunal régional du travail. L'auteur revient sur le nouveau sens du juste qu'a entraîné le développement d'un cadre juridique pour régler ces relations (Constitution fédérale de 1988). Cette conscience du droit a fourni aux employées un cadre interprétatif nouveau pour évaluer leurs conditions de travail : le «bon patron » est aussi celui qui « donne des droits » (p. 229). Assigner un ancien patron les conduit donc à éprouver un sentiment de justice et à faire une expérience inédite de l'égalité au tribunal.

7Au total, le point fort de cet ouvrage dont la dimension politique prend corps au fil de la lecture est de ne jamais oublier ceci : «  la modernité de la société brésilienne est souvent trop vite rapprochée, dans des raisonnements évolutionnistes, des expressions que la modernité a prise en Europe et aux États-Unis » (p. 162). Les travailleuses domestiques doivent en effet « composer dans une sorte d'entre-deux » entre première et seconde modernité, soit d'une part entre une « façon ancienne de jouer les rôles féminins » dans un cadre paternaliste et d'autre part, l'élaboration d'un projet réflexif couplé avec un recours systématique au droit. Enfin, malgré des redites, ce livre est aussi une contribution aux débats sur les métiers liés au care. La difficulté d'acceptation de ces emplois résiderait ainsi dans l'inexistence ou la faiblesse d'une instance tierce, telle que le tribunal, qui ne permet pas d'échapper à un face-à-face écrasant avec l'employeur.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aurélie La Torré, « Dominique Vidal, Les bonnes de Rio. Emploi domestique et société démocratique au Brésil », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 avril 2007, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/393 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.393

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Rédacteur

Aurélie La Torré

Doctorante en sciences sociales au Centre d'Etudes Interdisciplinaires des Faits Religieux (EHESS) et au Centre Maurice Halbwachs-Equipe ETT (CNRS/ENS/EHESS).

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Droits d’auteur

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