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Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, Sociologie des syndicats

Anne Bory
Sociologie des syndicats
Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, Sociologie des syndicats, La Découverte, coll. « Repères Sociologie », 2007, 121 p., EAN : 9782707153142.
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Texte intégral

  • 1 Ce qui ne constitue pas un phénomène tout à fait nouveau, puisque Guy Groux et René Mouriaux soulig (...)

1Cette réédition de l'ouvrage de Dominique Andolfatto, maître de conférences en science politique à l'université de Nancy, et Dominique Labbé, maître de conférences en science politique à l'IEP de Grenoble, semble particulièrement utile dans un contexte politique et médiatique qui tend à délégitimer les organisations syndicales de salariés en général, et les formes de conflictualité ou de contestation sociales en particulier1.

2Faire une sociologie des syndicats dans un format très court, en s'attachant à la fois à la composition des organisations syndicales, à leur histoire, à leurs différents rôles sociaux dans et bien au-delà des entreprises et des administrations publiques, semble un défi peu aisé à relever. Il est ici en grande partie réussi, et cet ouvrage fournit une première approche complète des syndicats de salariés en France, tout en offrant un point de vue souvent critique, parfois polémique, toujours solidement documenté sur le(s) (dys)fonctionnement(s) actuel(s) de ces organisations.

3Il s'agit dans cet ouvrage exclusivement des syndicats de salariés, et essentiellement du cadre français. La dimension internationale du syndicalisme est abordée en pointillé au sujet des organisations syndicales internationales, et particulièrement européennes, et à intervalles réguliers pour fournir quelques éléments de comparaison, notamment sur le plan historique ou sur la question de la syndicalisation. Les syndicats allemands, espagnols, britanniques, nord-américains sont ainsi évoqués à plusieurs reprises.

4Dans un premier chapitre, les auteurs analysent les rôles économiques et sociaux des syndicats, pour ensuite examiner les raisons de l'adhésion syndicale. Le rôle économique des syndicats, dans les entreprises et au niveau interprofessionnel, autour notamment des questions de rémunération, permet aux auteurs de faire un point historique sur les tensions entre syndicalisme de métier et syndicalisme d'industrie, qui ont abouti à la prédominance du syndicalisme « industriel » en France. La question de l'impact économique des syndicats reste aujourd'hui largement en suspens, et les auteurs prennent le parti de retenir l'hypothèse d'un impact économique plutôt positif. En outre, il apparaît ici que si les fonctions sociales des syndicats sont déterminantes dans la gestion de nombre de comités d'entreprise, d'organismes sociaux, et de tribunaux, les fonctions de « défense et recours », au plus près du quotidien des salariés, ont été délaissées, ce que déplorent les auteurs. Enfin, la question de la désyndicalisation est examinée en creux par l'étude des raisons de l'adhésion : socialisation primaire, socialisation professionnelle, conscience de classe, densité de l'emploi public et importance des grandes entreprises publiques, faible concurrence sont autant de facteurs ayant un impact positif sur la syndicalisation. Leur absence, leur fragilisation ou leur déclin explique donc en partie les faibles taux d'adhésion aux syndicats.

5Un deuxième chapitre historique examine ensuite les deux principales traditions historiques du syndicalisme français : celle issue du mouvement ouvrier, et celle issue du catholicisme social. L'histoire et les évolutions politiques de la CGT et de la CGT-FO, la place du parti communiste dans cette histoire croisée et les stratégies revendicatrices mises en place pour freiner l'hémorragie vers d'autres organisations sont ici analysées de façon assez exhaustive. De même, le catholicisme social à l'origine de la CFTC et de la CFDT, et les orientations sociales et politiques de ces deux syndicats, notamment sur les 15 dernières années, permettent d'avoir un regard éclairé sur les débats actuellement en cours. Ce chapitre historique est également pour les auteurs l'occasion de dresser un bref historique de l'évolution de la syndicalisation en France depuis 1945. La « faiblesse historique » du syndicalisme français est ici démentie : entre 1945 et 1978, près de la moitié des salariés ont été syndiqués. Enfin, les auteurs regroupent sous l'appellation de syndicalisme « catégoriel », le syndicalisme des cadres, les organisations syndicales « autonomes », ainsi que les « coordinations » et les « indépendants ». Le bref historique fait au sujet de la CGC, de l'UNSA et des Solidaires permet de situer leurs relations avec les autres confédérations, et leurs orientations politiques.

6Le troisième chapitre s'attache à l'organisation des syndicats, et tout particulièrement à la juxtaposition d'une organisation à base géographique et d'une organisation à base professionnelle, relevant toutes deux du fédéralisme associatif : des syndicats, composés de sections, se regroupent en fédérations, elles-mêmes regroupées en confédérations. Tout en expliquant clairement les ressorts et les racines de ce « dualisme organisationnel » et en aidant le lecteur à distinguer unions locales, syndicats, fédérations et confédérations, les auteurs portent un regard pour le moins critique sur cette « double intégration ». Ils soulignent la charge imposée aux syndicats en termes d'élus et de mandats, les tensions entre syndicats et unions territoriales et le déficit démocratique constaté dans la plupart des syndicats, fédérations et confédérations. Ce chapitre décrit ainsi un système qui semble ne générer que des dysfonctionnements. Peut-être quelques explications supplémentaires sur les bénéfices attendus du dualisme et sur ses justifications historiques permettraient-elles au lecteur de mieux saisir les ressorts de ce mode d'organisation. Enfin, la section consacrée aux moyens des syndicats donne à la fois une idée de leur ampleur, du moindre poids des cotisations dans les ressources, et du flou qui règne sur le nombre de représentants légaux du personnel. Les aides accordées aux syndicats par l'Etat et les entreprises font des syndicats français les mieux dotés parmi les pays industrialisés ; leur importance permet d'établir un parallèle entre le financement des syndicats et celui des partis politiques, bien loin de l'idée de syndicats financés par les cotisations de leurs adhérents.

  • 2 Voir notamment Guillaume Cécile, Pochic Sophie, 2007, « Le syndicalisme à l'épreuve de la féminisat (...)

7Dans le quatrième chapitre, la sociologie de l' « univers syndical » permet d'analyser les caractéristiques sociologiques des militants syndicaux. La prédominance d'une population masculine, vieillissante, employée dans le secteur public apparaît très nettement. La lente féminisation en marche dans le syndicalisme français est évoquée2. Les auteurs s'attachent ensuite à décrire la marginalisation des adhérents de base et la professionnalisation du militantisme, due à la baisse des adhésions, et qui se fait au détriment de la vie démocratique des organisations, et de la défense des droits des salariés au plus près du terrain. Peu de militants n'ont aucune responsabilité, et l'accession aux responsabilités syndicales est devenue de plus en plus rapide. Le militantisme syndical devient ainsi pour une proportion de plus en plus importante de syndicalistes une activité à temps plein, envisagée de façon souvent beaucoup plus technique que politique, bien que les militants syndicaux soient plus souvent membres d'un parti politique que la moyenne des Français. Enfin, les adhérents ne sont pas ceux qui désignent le groupe des dirigeants, le plus souvent coopté en son sein et nommé par le haut. Les auteurs achèvent ce chapitre en soulignant que si l'opinion des salariés est plutôt favorable à l'égard des syndicats, l'abstention aux élections professionnelles, et surtout aux élections prud'homales, ne facilite pas la mesure de l'audience des syndicats. A cet égard, les élections de 2009 seront certainement un indicateur utile à la fois du poids social et politique des syndicats, mais également du poids relatif de chaque confédération.

8Enfin, un dernier chapitre traite de l'action syndicale. Au-delà des signes les plus visibles - et souvent les plus décriés - de celle-ci, comme les grèves et les manifestations, les auteurs soulignent que l'essentiel de l'action syndicale se fait aujourd'hui au travers de la négociation. La diffusion de tracts, parallèlement au déclin des sections locales, a diminué, et celle de tracts politiques a quasiment disparu. Le portrait dressé ici de la négociation collective, et notamment au niveau de l'entreprise, est assez sombre : la dépendance des syndicalistes d'entreprise vis-à-vis de leur employeur, les pressions qu'ils peuvent subir, la surabondance de normes à connaître, le manque de négociateurs dessinent les contours de négociations déséquilibrées. Le caractère suffisant d'une seule signature d'une organisation représentative amplifie encore la déconnection entre les salariés et l'élaboration des normes qui les concernent.

9La conclusion de l'ouvrage se teinte d'un pessimisme certain - que le titre « Le déclin syndical français » traduit explicitement -, qui témoigne de l'attachement des auteurs à l'idée d'organisations syndicales indépendantes des pouvoirs publics et du patronat, et aptes à défendre au plus près du terrain les droits des salariés. Crise de l'emploi, répression anti-syndicale, évolution des modalités de l'engagement, abandon du compromis fordiste, déclin des sections syndicales de base, dualisme organisationnel, et division syndicale sont les principaux facteurs présentés par les auteurs pour expliquer ce déclin.

  • 3 Voir Béthoux Élodie, 2006, Entreprises multinationales et représentation des salariés en Europe : l (...)
  • 4 Voir notamment Penalva Elise, 2008, « Comment devenir légitimes ? Le double rôle des syndicats dans (...)
  • 5 La plupart des organisations syndicales ont ainsi rejoint le collectif Uni(e)s contre une immigrati (...)

10Ainsi, si cet ouvrage offre au lecteur un panorama très complet du paysage syndical français actuel et des enjeux qui le traversent, on peut penser que certaines évolutions en cours dans le champ des relations sociales pourront amener une prochaine édition à accorder une place plus importante à certains objets du dialogue social. Les questions de dialogue social européen et international, de la place des comités d'entreprise européens, ou de l'apparition de nouvelles figures de syndicalistes comme ceux siégeant à la Confédération Européenne des Syndicats enrichissent la description et l'analyse de l'action et de l'univers syndicaux3. De nouveaux champs entrent aussi dans la sphère de l'action syndicale. C'est le cas par exemple des chantiers ouverts sous le vocable de « développement durable » ou de « responsabilité sociale des entreprises » qui, la plupart du temps sous l'impulsion du patronat et/ou des pouvoirs publics, croisent l'action syndicale de plus en plus fréquemment4. C'est aussi le cas de la question des salariés sans-papiers5. Enfin, et surtout, la signature de la position commune sur la représentativité syndicale par les organisations patronales, la CGT et la CFDT, l'issue de la crise que traverse le Medef et les révélations qui en découlent et les élections prud'homales de décembre 2008 permettront de confirmer ou d'infirmer certaines des analyses présentées dans cet ouvrage. La récente annonce d'un rapprochement entre l'UNSA et la CGC, symptomatique à la fois du poids persistant de la loi de 1966, de la montée en puissance de nouvelles confédérations (et du mouvement des « autonomes » que les auteurs abordent), et de la transgression de clivages politiques autrefois plus marqués pourrait marquer un premier pas vers la reconfiguration du paysage syndical français. Reste à savoir quel visage les évolutions à venir donneront-elles à ce paysage, et quel sera le ton de la prochaine conclusion de cet ouvrage : déclin, renouveau ou stagnation, l'avenir des syndicats français semble se dessiner à un rythme accéléré.

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Notes

1 Ce qui ne constitue pas un phénomène tout à fait nouveau, puisque Guy Groux et René Mouriaux soulignaient déjà « la fermeté des pouvoirs publics et du patronat qui entendent accréditer que la lutte ne « paie » pas », dans « Syndicalisme sans syndiqués », in Perrineau Pascal (1994), L'engagement politique : déclin ou mutation ?, Presses de Sciences-Po, Paris.

2 Voir notamment Guillaume Cécile, Pochic Sophie, 2007, « Le syndicalisme à l'épreuve de la féminisation : la permanence paradoxale du « plafond de verre » à la CFDT », Politix, n°78

3 Voir Béthoux Élodie, 2006, Entreprises multinationales et représentation des salariés en Europe : l'expérience des comités d'entreprise européens, thèse de sociologie, Université Paris X-Nanterre ; Wagner Anne-Catherine, 2005, Vers une Europe syndicale. Une enquête sur la Confédération Européenne des Syndicats, Editions du Croquant.

4 Voir notamment Penalva Elise, 2008, « Comment devenir légitimes ? Le double rôle des syndicats dans le marché de l'Investissement Socialement Responsable », La Revue de l'IRES , 2008/2.

5 La plupart des organisations syndicales ont ainsi rejoint le collectif Uni(e)s contre une immigration jetable, et la CGT s'est illustrée lors de la grève de travailleurs sans-papiers d'avril 2008, en son nom propre et au travers de l'association Droits devant !.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Bory, « Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, Sociologie des syndicats », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 28 mai 2008, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/588 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.588

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