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Alain Bihr, Roland Pfefferkorn, Le système des inégalités

Igor Martinache
Le système des inégalités
Alain Bihr, Roland Pfefferkorn, Le système des inégalités, La Découverte, coll. « Repères Sociologie », 2008, 122 p., EAN : 9782707152206.
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Texte intégral

  • 1 Voir le site du réseau : http://www.bip40.org/fr/
  • 2 Sur la première, on peut renvoyer par exemple à l'ouvrage de Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapp (...)

1Les inégalités sont un peu comme certaines maladies contagieuses : on croit tout savoir à leur sujet, et pourtant, c'est précisément notre méconnaissance qui stérilise toute possibilité de les endiguer. Aussi, les « repères » que viennent ici fournir Alain Bihr et Roland Pfefferkorn s'avèrent-ils tout sauf inutiles. Professeurs de sociologie et chercheurs respectivement au Laboratoire de sociologie et d'anthropologie (LASA) à l'université de Franche-Comté à Besançon et au laboratoire Cultures et sociétés en Europe (CNRS) à l'université Marc-Bloch de Strasbourg, les auteurs comptent également parmi les animateurs du « Réseau d'alerte sur les inégalités » qui publie notamment le « BIP 40 » (Baromètre des Inégalités et de la Pauvreté) 1, un indicateur synthétique qui tente de restituer une vision plus complète des inégalités que la seule prise en compte des données monétaires. Car, expliquent-ils dans leur introduction, si la littérature scientifique abonde sur la question, celles-ci souffrent généralement de nombreuses limites, la première d'entre elle étant sans doute leur trop grande spécialisation. Or, non seulement les inégalités sociales sont-elles multidimensionnelles, mais elles font système, et vouloir en détacher une pour l'étudier particulièrement contribue ainsi à fausser l'observation du phénomène. Telle est la thèse centrale de cet ouvrage, dans un contexte où, après des décennies de reflux, les inégalités entre catégories sociales ont recommencé à se creuser depuis les années 1980 et l'avènement de politiques « néolibérales ». Ces dernières constituent déjà une question bien vaste, et les auteurs ont ainsi du laisser de côté les autres formes d'inégalités, de genre ou intergénérationnelles particulièrement, auxquelles plusieurs travaux récents sont consacrés 2 Les auteurs s'attachent donc dans un premier temps à circonscrire le champ des inégalités sociales, qu'ils définissent comme « le résultat d'une distribution inégale, au sens mathématique de l'expression, entre les membres d'une société, des ressources de cette dernière, distribution inégale due aux structures mêmes de cette société et faisant naître un sentiment légitime ou non, d'injustice au sein de ses membres ». Une formulation dense qui n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes - notamment en ce qui concerne la saisie du phénomène par les seuls outils mathématiques et la subjectivité du sentiment d'injustice-, mais qui permet d'emblée d'opérer un certain nombre de clarifications. Ainsi peut-on par exemple exclure du champ d'études les inégalités suprasociales, telles que les différences de fertilité entre les sols (encore que celle-ci soit peut-être devenue de plus en plus liée à l'activité humaine...) ou la distribution des maladies génétiques dans la population, ainsi que les inégalités infrasociales, liées aux comportements et décisions individuels, mais dont la sociologie nous a appris à nous méfier du caractère réellement libre.

  • 3 Un véritable oxymore pour les auteurs, car là où il a égalité, il n'y a plus chance et réciproqueme (...)

2Ils passent ensuite en revue les principaux discours qui, depuis Platon et Aristote, légitiment d'une manière ou d'une autre les inégalités sociales. De l'inégalité comme loi ontologique, portée par exemple par les pères de l'Eglise aux discours plus subtils sur l'« égalité des chances » 3 , dont la fameuse « théorie de la justice » de John Rawls représente la formule la plus aboutie, Alain Bihr et Roland Pfefferkorn sapent ainsi les fondements sur lesquels s'appuient chacun de ces discours d'une manière assez savoureuse. Ils justifient ensuite leur approche statistique du phénomène inégalitaire, non sans en pointer les limites, tant techniques que de principe. Mais cette démarche suffit néanmoins à mettre en évidence le caractère systémique des inégalités sociales, s'inspirant de la théorie des systèmes que l'on retrouve dans de multiples champs scientifiques. Rappelons avec les auteurs que pour cette dernière, un système est une « unité complexe formée par l'organisation des interrelations entre une multiplicité d'éléments, qui lui confère à la fois des propriétés spécifiques (relativement à ceux de ses éléments composants) , une certaine cohésion, sinon cohérence, et une capacité homéostatique, autrement dit la capacité de rétablir son ordre propre ».

3Pour illustrer les interrelations qui peuvent exister entre différents types d'inégalités, les auteurs développent assez longuement deux exemples qui échappent souvent au sens commun : celui des inégalités de mortalité et de morbidité entre classes sociales, ainsi que celui des inégalités face au logement et ses conséquences. Puis ils dressent un tableau synoptique des interactions entre 13 formes d'inégalités : on y retrouve ainsi chacune en abscisse et en ordonnée tandis que le tableau indique pour chaque couple l'existence ou non de relation directe ainsi que, dans ce cas, le sens (pratiquement toujours positif) et l'intensité de cette dernière. Ce faisant, cela leur permet ensuite de hiérarchiser ces différents types d'inégalité, et de constater que c'est très nettement les inégalités de position au sein des rapports de production qui déterminent en priorité les autres. Un constat qui les conduira finalement à réhabiliter la notion de classes sociales, contre les discours spéculant sur leur « fin » et la « moyennisation » de la société.

4Ils présentent ensuite un autre tableau synoptique pour mettre en évidence le cumul des inégalités à partir de la nomenclature des Professions et Catégories Sociales (PCS) de l'INSEE, dont ils pointent cependant les effets aveuglants. Et les auteurs insistent bien sur le fait que si les formes de pauvreté, qui ne se limitent pas au défaut d'avoir, mais également à celui de savoir et de pouvoir, se cumulent et s'entretiennent réciproquement au « bas » de l'échelle sociale, il en va de même inversement en « haut », où fonctionne bien un « cercle vertueux » (ou vicieux ?) des avantages sociaux - fortune, pouvoir et prestige pour reprendre les trois ordres chers à Max Weber.

  • 4 Et qui tous convergent cependant pour montrer un creusement des inégalités depuis 25 ans

5Après avoir présenté les différents indicateurs synthétiques mis au point récemment pour mieux rendre compte du phénomène inégalitaire 4, Alain Bihr et Roland Pfefferkorn s'intéressent à la reproduction des inégalités, autrement dit à la question de la mobilité sociale. Ils rappellent ainsi utilement la différence entre mobilité sociale brute (ou apparente) et mobilité sociale nette, le passage de la première à la seconde consistant à corriger les évolutions de la structure sociale, et présentent ensuite l'évolution récente de la mobilité au sein de chacune des six PCS. Si les situations sont contrastées, deux constats généraux peuvent cependant être dégagés : d'abord, après des décennies d'affaiblissement, un raffermissement actuel de l'hérédité sociale ; et ensuite la bien plus grande fréquence des « trajets courts » sur les « trajets longs » en matière de mobilité individuelle. Après en avoir résumé les principaux facteurs, les auteurs font enfin observer que cette hérédité sociale, et l'existence donc de « lignées » est particulièrement forte aux deux extrémités du spectre social.

6Ce panorama amène finalement Alain Bihr et Roland Pfefferkorn à affirmer que la société française actuelle, comme d'ailleurs l'ensemble des sociétés contemporaines, est bien marquée par la persistance des phénomènes de segmentation, de hiérarchisation et de conflictualité sociales qui les amène donc à remettre en avant le concept de classes. Voilà de quoi raviver un débat encore vivace. Et si cet ouvrage vaut la peine d'être lu à la fois pour la bonne synthèse des connaissances actuelles en matière d'inégalités sociales et pour ses enseignements méthodologiques, il rappelle aussi que sciences sociales et engagement ne sont pas incompatibles, mais peut-être au contraire indissociables...

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Notes

1 Voir le site du réseau : http://www.bip40.org/fr/

2 Sur la première, on peut renvoyer par exemple à l'ouvrage de Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux rapports de classes, rapports de sexes, la Dispute, 2007, où celui-ci met déjà bien en évidence l'impossibilité de dissocier inégalités entre classes et entre genres. Sur la seconde, on peut notamment se référer notamment au Destin des générations de Louis Chauvel, PUF, 2002

3 Un véritable oxymore pour les auteurs, car là où il a égalité, il n'y a plus chance et réciproquement...De plus ajoute-t-il, même si l'accès aux différentes places sociales était égalitaire, cela ne supprimerait pas l'existence d'inégalité de situations à l'arrivée et partant de celle de rapports de domination structurels

4 Et qui tous convergent cependant pour montrer un creusement des inégalités depuis 25 ans

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Pour citer cet article

Référence électronique

Igor Martinache, « Alain Bihr, Roland Pfefferkorn, Le système des inégalités », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 07 avril 2008, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/555 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.555

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