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Isabelle Vinatier, Marguerite Altet, Analyser et comprendre la pratique enseignante

Romain Meltz
Analyser et comprendre la pratique enseignante
Isabelle Vinatier, Marguerite Altet (dir.), Analyser et comprendre la pratique enseignante, Presses universitaires de Rennes, coll. « Didact Education », 2008, 190 p., EAN : 9782753505827.
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Texte intégral

1Toute une équipe, le CREN de Nantes, désireuse de produire une analyse « multiréférentielle » de la pratique enseignante, s'est retrouvée autour d'une séance organisée par un enseignant d'une classe de CM2. La séance se déroule autour de la question : « comment les aliments que l'on mange peuvent donner de la force à notre corps » ? L'ouvrage Analyser et comprendre la pratique enseignante est le résultat de ce travail d'étude en équipe, qui a mobilisé des spécialistes de différentes disciplines en plus - dans une volonté de « co-explication » - de celle de l'enseignant (nommé Pierre L.) qui a mené la séance avec sa classe, et dont le résultat final doit permettre d'illustrer la spécificité des sciences de l'éducation.

2La description de la deuxième des six séances occupe une part du premier chapitre. Il s'agit de 60 minutes en classe (qui ont été filmées) durant lesquels chacun des groupes d'élèves vient présenter une affiche réalisée pendant la séance précédente sur le thème cité plus haut de l'alimentation. Les élèves qui ne présentent pas leur propre affiche doivent poser des questions et proposer une analyse critique des productions faites par les autres groupes. Le but officiel - un peu passé sous silence dans l'analyse final proposé par l'ouvrage - de cette séance est que les élèves arrivent à la conscience des trois nécessités de l'alimentation : nécessité d'une distribution des aliments à tout le corps, la nécessité d'un tri et la nécessité d'une transformation. La discussion menée en classe doit permettre de voir si cette triple nécessité est apparue. Une séance antérieure (de 73 minutes) a consisté pour les élèves à réfléchir individuellement et en groupe à partir de la question initiale ensuite reformulée : « à quoi cela sert de manger ? ».

3L'idée d'Analyser et comprendre la pratique enseignante est donc très séduisante. La multiplication des points de vue, pense-t-on, permettra de mettre en lumière les enjeux et problèmes qui se déroulent dans cette classe de CM2 autour d'une question concrète à étudier. La multiplicité des disciplines mobilisées par les différents contributeurs de l'ouvrage fait que le lecteur est prêt à accepter l'existence d'une dose de redite liée au fait que les chapitres portent tous soit sur cette séance avec élèves soit sur la séance de « co-explicitation » entre l'enseignant (appelé souvent : « le professionnel ») et des chercheurs. Pour autant, à l'arrivée, le lecteur a bien du mal à savoir quelles avancés du savoir en science de l'éducation les différentes contributions ont permis. Ce lecteur est par exemple confronté à des citations de l'enseignant parfois surprenantes : « “Il y a des choses très gestuelles chez moi (457) qui permettent d'éviter le retour au calme” (p.122) ou “formulation d'une règle d'action : je m'interdis de répéter” (p.80) qu'il aimerait, pour commencer voir tout de même plus commentées.

  • 1 A ma connaissance le deuxièmement et troisièmement ne viennent jamais par la suite.

4Or il est par ailleurs confronté à des formulations dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle sont réservées à un public étroit : « la “Logique Interlocutoire” n'est pas à proprement parler une théorie présentant des objets nouveaux. Elle n'en est pas moins originale, sous trois rapports. Premièrement, la Logique Interlocutoire intègre (combine, compose en un discours cohérent) des théories relativement indépendante les unes des autre. Il s'agit, en l'espèce, de la Théorie des structures hiérarchiques modulaire défendue par Roulet et de la Sémantique Générale qui, elle-même d'ailleurs, articule la Logique Illocutoire avec la Logique Intentionnelle » (p.94)1 . Ou, page 77 : « Il s'agit de tenter de cerner des scripts de cette co-construction en repérant les enchaînements pragmatiques des échanges au niveau de la résolution (négociation du contenu propositionnel) et de la satisfaction (la position et le positionnement pris par les interlocuteurs au niveau de la gestion de la relation). » Occasionnellement, le même lecteur, peut même buter sur des formulations au sens indéterminé : « Certes le pourcentage total est proche mais l'écart entre le nombre des occurrences prononcées par G1 pour sa propre présentation par rapport à la totalité de sa participation sur le travail de classe et celui de G4, nous obtenons un écart de +22,18% pour G4 » (pp.97-98) ou encore « la difficulté au cours de cette situation de classe est que le débat n'a pas lieu ceci permet à Pierre L d'élaborer une constatation pour situer les raisons de ce non fonctionnement au sens d'absence de débat » (p.101). Plus problématique, le lecteur n'est finalement pas mis en situation de comprendre ce que l'ouvrage permet d'éclairer la pratique enseignante - ce que le titre du livre pourrait pourtant permettre d'espérer.

5Alors que l'on peut clairement déceler à travers l'ouvrage et presque malgré lui des éléments du déroulement de la séance étudiée qui permettrait d'ouvrir un boulevard à l'analyse, presque rien n'est jamais proposé. Par exemple, il est assez évident que la longueur de la séance et la répétitivité du dispositif proposé (chaque groupe d'élève présentant son affiche, les autres devant les commenter, la discussion s'engageant) ne peut qu'entraîner une lassitude de la part d'élèves de 10 ans. De fait, dès le passage du groupe 3, des signes de lassitude apparaissent dans la classe. La nécessité pour l'enseignant de tenir compte de l'atmosphère de la classe est soulignée par une des analyses qui insiste sur le besoin de « prise de repère par l'enseignant » (p.123). La séance continue pourtant imperturbablement après le passage du troisième groupe avec le quatrième puis le cinquième (p.60). Pourquoi alors l'enseignant - qui est continuellement présenté comme expérimenté - n'a-t-il pas réagi pour modifier la situation de passage des groupes ? Difficile à comprendre. Est-ce parce que l'enseignant a conçu sa séquence avec des membres du groupe chargé de l'analyser et qui l'observent pendant qu'elle se déroule ? Question en tout cas qui mériterait d'être un peu traitée.

6De la même façon (p.64), les chercheurs présentant le décompte décroissant des mots prononcés par les élèves pendant la séance, mettent leur calcul en vis-à-vis avec des appréciations portées par le maître sur les élèves en question. Sans surprise les élèves qui ont le plus participé sont aussi ceux qui ont des appréciations élogieuses. Seul Adrien, élève ayant un total de mots prononcés élevé est pourtant décrit par le maître comme un élève faible. Combien serait intéressant que ce paradoxe soit examiné plus avant. De façon identique, il est fait de nombreuse fois allusion à une référence explicite du maître à une publication du ministère (des années 70) selon laquelle les trois quart de ce qui est dit en classe est le fait du maître, pas de celui des élèves - chiffre qui a visiblement eu une influence importante sur la façon avec laquelle Pierre L a décidé de mener ses cours. Il revendique l'importance de la parole d'élèves, et ceci à de nombreuses reprises au cours de l'entretien mené. Pour autant, nul part le pourcentage de prise de parole par le maître au cours de cette séance, calculable du fait de l'enregistrement qui en est fait, n'apparaît dans l'ouvrage, donnée de base qui devrait pourtant figurer.

7La question de la gestion de l'hétérogénéité de la classe par le maître aurait également pu être un objet d'étude intéressant. N'y a-t-il pas un arbitraire que les chercheurs auteurs de l'ouvrage pourraient discuter et chercher à analyser lorsque le maître énonce : « Par définition on a des élèves qui ne sont pas au même niveau. S'ils étaient au même niveau il n'y aurait pas de débat » (p.161) ? Les implications de cette phrase sont pourtant nettes. Elle semble signifier que le débat ne peut que rassembler des élèves inégaux en connaissance et en travail, et que ce débat ne sert en fait qu'à ceux qui en savent moins pour en apprendre de ceux qui en savent plus. Au final, seule la contribution de Christian Orange de présentation de la séance et dans une moindre mesure celle de Michel Perreaudeau (qui tente de distinguer ce qui relève de la démarche du médiateur de celle du tuteur dans l'activité enseignante) semblent permettre d'entamer un travail correspondant à ce que permet d'espérer le titre de l'ouvrage.

8Il est possible que le statut du maître soit à l'origine de la curieuse réserve que semblent entretenir les différents auteurs quand il s'agit de passer à l'analyse de son travail avec les élèves. Bien que les présentations faites des différents statuts du maître varie assez étrangement selon les contributions, l'une d'entre elle les résume toutes en énumérant : « jeune enseignant, enseignant expérimenté, formateur conseiller pédagogique, chercheur INRP », longue liste des différents statuts de l'enseignant observé en situation (p.135). Est-ce le fait que Pierre L soit devenu entre le moment où sa classe a été observée et celui où l'ouvrage a commencé à être rédigé un « collègue chercheur » pour les contributeurs qui a rendu difficile l'objectivation de son travail d'enseignant ?

9Autre hypothèse, il est possible que l'entretien qui a réuni les chercheurs et le maître - et qui a eu lieu plusieurs mois après la séance fondatrice - ait eu pour effet de produire une justification a posteriori des pratiques observées par les chercheurs lors de la séance avec élèves. Dans la mesure où il s'agit ensuite de « co explication » menée par Pierre L et les auteurs, il parait assez clair que la distance critique du chercheur est contrainte par l'acceptation par le maître d'école des analyses proposées par ceux là. On peut se demander s'il n'aurait pas été plus judicieux de définir au préalable - par le fait du même type d'entretien - des critères d'évaluation de la séance : les objectifs de celle ci, la posture qu'entendait adopter l'enseignant, les modalités pratiques pour y parvenir - pour ensuite de passer à l'analyse de la séance enregistrée.

10Il est possible enfin que liés réciproquement par un contrat moral chacun des co-contractant limite ses critiques à l'autre partie de manière à ce que sa propre responsabilité dans le résultat final soit laissé de côté. L'enseignant qui a accepté qu'un spécialiste des SVT construise sa séance ne soulignera pas combien elle est inopérante, les chercheurs en retour acceptant de ne pas s'engouffrer dans les failles de la pratique enseignante révélées par cette séance « mal » calibrée.

11Les différents spécialistes convoqués dans cet ouvrage sont réputés être tombés d'accord sur un résultat de leur analyse de la séance et au-delà de la pratique enseignante formulé ainsi : « L'équipe s'accorde sur l'explication suivante : le processus ‘tient', la séquence ‘avance' par un subtil équilibre d'accords et de désaccords à partir des transactions, des négociations, des ajustements entre les acteurs » (p.16). Par malheur, c'est précisément le descriptif précis de ces transactions, ces négociations, ces ajustements entre acteurs dont l'analyse fait cruellement défaut dans l'ouvrage. Au lieu de quoi, la quasi intégralité de la partie deux et trois (d'ailleurs alternativement intitulées chapitres et parties) porte sur une sorte de méta analyse de l'étude de la pratique enseignante qui, loin d'être une méthodologie des sciences de l'éducation - ce qui serait déjà en soi assez peu utile - semble plutôt avoir pour but de se regarder en tant que spécialité entrain d'examiner avec son concours la pratique pourtant peu assez convaincue d'un enseignant en classe de CM2.

12A l'arrivée, on ne peut donc hélas qu'être d'accord avec ce que dit Gilles Vigneaud, invité à conclure l'ouvrage, faisant référence à cette fameuse co-explication chercheur/praticien : « la mise en mots [de ses pratiques] est difficile pour l'enseignant, mais elle est délicate aussi pour le chercheur, tant il est vrai que la forme prédicative de la connaissance exprimée par une personne ne reflète que très partiellement la forme opératoire que celle-ci met en œuvre en situation » (p.186). Faute peut être d'avoir pris la mesure de l'étendue de cet écart et de n'avoir pu mettre en place des techniques d'analyse pour permettre de combler cet écart, l'ouvrage Analyser et comprendre la pratique enseignante n'est hélas pas en mesure de nous en dire beaucoup à ce sujet.

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Notes

1 A ma connaissance le deuxièmement et troisièmement ne viennent jamais par la suite.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Romain Meltz, « Isabelle Vinatier, Marguerite Altet, Analyser et comprendre la pratique enseignante », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 27 août 2008, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/648 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.648

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