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Annie Antoine, Julian Mischi, Sociabilité et politique en milieu rural

Alexandre Hyacinthe
Sociabilité et politique en milieu rural
Annie Antoine, Julian Mischi (dir.), Sociabilité et politique en milieu rural, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2008, 472 p., EAN : 9782753505407.
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Texte intégral

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2Quelles que soient les approches problématiques qu'on leur associe, le « milieu rural » et ses « villages » mobilisent toujours fortement les imaginaires, et imposent donc à celles et ceux qui souhaitent s'aventurer à mobiliser ces termes un minimum de prudence. Issu d'un colloque qui s'est tenu en 2005, cet ouvrage collectif se donne pour but d'interroger -comme le titre le laisse deviner- les notions de « politique » et de « sociabilité », spatialement délimitées à ce qui est appelé ici « milieu rural », ou plutôt « milieux ruraux ». Plus précisément, il s'agit de proposer une « lecture du politique à travers les sociabilités » (p 12). La proposition est intéressante et laisse entrevoir un riche terrain d'études. Les contributions, principalement le fait d'historiens, mais aussi de politologues, de sociologues, ou encore d'un architecte, soulèvent nombre de questions pertinentes, dans des analyses souvent bien détaillées. Il en résulte un aperçu intéressant des perspectives de recherches autour de ces notions. Toutefois, c'est peut-être une réflexion plus étoffée sur l'heuristique et la plasticité de ces notions elles-mêmes qui manque à l'ouvrage pour qu'il soit réellement marquant.

3Premier élément positif : l'interdisciplinarité. Bien qu'elle soit -on le sait- désormais plutôt « automatique », elle n'en ajoute pas moins un intérêt certain à l'ouvrage. Croiser ici des approches, des cadres académiques et des bases théoriques bien différents, offre une nette mise en perspective des « ruralités ». Ainsi, l'ouvrage en est enrichi d'une plus grande dynamique de la thématique.

4Deuxième élément, avec plus de trente études de cas, c'est un large panel de situations qui sont analysées, envisageant différentes formes de sociabilité : notabilité à différentes époques, réseaux professionnels ou syndicaux, mandats législatifs, applications du Droit, religion ; avec quelques études hors de France (Portugal contemporain, Espagne franquiste, Terre Ferme vénitienne du Seizième siècle), et une diversité des matériaux également (archives officielles, démarches ethnographiques, récits individuelles, etc.). Pour autant, cette diversité n'altère pas la cohérence de l'ensemble.

5Enfin, c'est la mise en perspective historique qu'offre ces contributions qui est réellement intéressante pour aborder aujourd'hui des thématiques similaires. Le dialogue ou la confrontation entre des objets de différentes époques est un apport évident aux études contemporains (et vient ainsi renforcer l'intérêt de l'interdisciplinarité que nous émettions plus haut). Citons comme exemple l'article de Yannick Le Marec, « Les émeutes de la Brière dans la première moitié du XIX° siècle ». Un cas comme celui-ci -un conflit autour de l'aménagement d'un marais, entre habitants riverains, Etat et compagnie d'exploitation- apporte en effet un éclairage historique utile à l'étude « d'objets hybrides » qui -des déchets nucléaires à la ligne TGV du val Susa italien- sont d'une importance centrale aujourd'hui.

6Pourtant, hélas, même en tenant compte de ces divers intérêts, cet ouvrage ne constitue pas un apport vraiment significatif. Certaines zones d'ombre restent inexplorées, alors qu'on aurait aimé que plus nombreux soient ceux qui s'y aventurent. C'est d'abord le concept de sociabilité qui reste quelque peu flou. Mis en débat par Julian Mischi dès l'introduction, (pp. 7-8), de la définition de Maurice Agulhon à celle de Simmel, le concept reste effectivement central tout au long de l'ouvrage. Mais c'est sur l'heuristique du terme que l'éclairage n'est pas des plus marquants. La notion de politique, quant à elle, pose question. Comme on l'a évoqué, les études de cas et les formes de sociabilités sont très variées, présentant ainsi des formes d'action collectives ou individuelles diverses. Pourtant, c'est dans l'ensemble à un paysage plutôt binaire que l'on a affaire, avec d'un côté l'Etat et ses institutions et de l'autre « les ruraux », même lorsque ceux-ci sont divisés entre groupes distincts. Ne court-on pas ainsi le risque de réduire le politique à la politique de l'Etat-Nation et aux formes qu'elle prend dans ce « milieu rural » ?

  • 1 MICOUD A., « Des patrimoines aux territoires durables. Ethnologie et écologie dans les campagnes fr (...)
  • 2 Ibid.

7C'est d'ailleurs ce « milieu rural » qui pose le plus problème. Il demeure relativement souvent un cadre d'analyse, même s'il est vrai que certains tentent toutefois d'expliciter lequel, comme Lafargue, qui reprend la définition de Jean-Luc Mayaud : « [le monde] dont la population vit dans des communes de moins de 2000 habitants et dont les activités et les imaginaires sont rythmés par l'agriculture, que la participation soit directe ou non » (p. 89). D'autres tentent effectivement une interrogation sur le concept de ruralité, comme Pierru et Vignon, autour des pratiques électorales (p. 409). Mais c'est globalement à une « surface isomorphe définie par son antonyme »1 que l'on a affaire. Parlant du politique, il est dommage de laisser de côté un réel débat sur ce qui ne reste souvent qu'un « arrière-pays », au sens où il « n'est pas le lieu de la décision »2.

8Des approches multiples et étoffées des formes institutionnelles d'organisation politique sont certes intéressantes. On peut se satisfaire du fait que le débat reste ouvert (comme le montre déjà le colloque qui a eu lieu en juin 2006 à Dijon, « Les mondes ruraux à l'épreuve des sciences sociales », qui a offert une certaine suite à celui-ci), et qu'il y ait un large champ de recherche autour de ces questions. Mais, quant à répondre aux attentes que l'on peut avoir face à une proposition aussi riche que celle d'« envisager le politique sous l'angle des sociabilités », l'objectif n'est pas vraiment atteint. Les zones d'ombre en question ici sont d'autant plus intéressantes que c'est en y pénétrant qu'on pourrait peut-être avancer sereinement sur le concept complexe de « ruralité », toujours oscillant entre des expériences vécues qu'il faut bien nommer et des approches essentialistes encore bien présentes autour de cette thématique.

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Notes

1 MICOUD A., « Des patrimoines aux territoires durables. Ethnologie et écologie dans les campagnes françaises », Ethnologie Française 2004/2, Tome XXXVII, p 14.

2 Ibid.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Hyacinthe, « Annie Antoine, Julian Mischi, Sociabilité et politique en milieu rural », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 19 janvier 2009, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/722 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.722

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Rédacteur

Alexandre Hyacinthe

Titulaire d'un master 2 en Anthropologie, chargé de mission du projet semences d'une association de développement agricole

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