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Eric Hobsbawn, Les bandits

Laure Célérier
Les bandits
Eric Hobsbawn, Les bandits, Zones, 2008, 216 p., EAN : 9782355220135.
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Notes de la rédaction

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Texte intégral

1« La défaite et la mort du bandit, c'est la défaite de son peuple, et qui pis est, la mort de l'espoir » écrit Eric John Hobsbawm au huitième chapitre des Bandits, dont la quatrième édition est parue en 2008. Champion des pauvres, réputé invulnérable, le bandit héroïsé des légendes populaires nous est présenté sous différentes figures, pour lesquelles sont mobilisées des références littéraires, historiques et sociologiques du monde entier. L'auteur, mettant l'accent sur les bandits sociaux des sociétés rurales, revient sur ses travaux fondateurs de 1969, et s'attache à étudier les structures économiques et sociales conditionnant l'apparition de ces hors-la-loi. Plus qu'avant, il se pose la question de la dimension politique des actes de banditisme. Captivante, la lecture des Bandits ne peut qu'être conseillée.

2On ne peut comprendre le banditisme sans le replacer dans l'histoire du pouvoir politique. Il apparaît, selon Hobsbawm, comme contestation de l'ordre social, économique et politique, dans les sociétés paysannes marquées par les divisions de classe, et par l'exploitation. C'est l'intermittence de la puissance des Seigneurs et des Etats qui permet ensuite de comprendre la prolifération du banditisme : ce dernier se développe particulièrement dans les régions reculées, inaccessibles. Mais n'est pas bandit qui veut, surtout dans le monde rural : « si, sur le plan social, le paysan courbe l'échine, c'est qu'il est la plupart du temps obligé de le faire, au sens propre, dans ses champs » écrit Hobsbawm au troisième chapitre. Le banditisme se développe ainsi là ou la population rurale est en surplus. Ce sont ensuite des jeunes gens, entre l'âge de la puberté et celui du mariage, libérés des contraintes familiales. Cela peut être illustré par le banditisme chinois, favorisé par l'infanticide sélectif des filles, amenant, dans certaines régions, un surplus d'hommes de l'ordre de 20%. Les bandits sont également des migrants, comme les rasboiniki russes, ou autres marginaux, tels les déserteurs et anciens conscrits, sans maître ni terre. Enfin, les bandits sont aussi ceux qui échappent au contrôle habituel de la société, comme les bergers, vivant dans la montagne, où paysans et seigneurs ne pénètrent pas. Cependant, dans les pays occidentaux, dès le XIXème siècle, la constitution des Etats modernes, dotés du monopole de la violence physique légitime, a privé le banditisme des conditions favorables à son épanouissement : « le monde moderne l'a tué » écrit Hobsbawm au second chapitre.

3Ce bandit qui prospère dans le contexte de discontinuité du pouvoir et d'exploitation de la population rurale, est parfois social. Dans ce cas, en tant que figure universelle de la protestation et de la révolte sociale, il n'a d'autre paradigme international que Robin des Bois, criminalisé par les Seigneurs et l'Etat, héroïsé par les paysans. Le bandit social se décline toutefois sous plusieurs formes, dont celle du bandit au grand cœur, philanthrope, redresseur de tort, défenseur de la veuve et de l'orphelin. Il est cependant soupçonné d'être plus présent dans les mythes et légendes que dans la réalité : « l'opinion populaire a tellement besoin de héros et de champions, que, s'il ne s'en présentent pas d'authentiques, elle en fabrique » écrit Hobsbawm au quatrième chapitre. Ces bandits ne basculent dans l'illégalité que parce qu'ils sont, au départ, victimes d'une injustice. C'est cela qui explique le maintien de leur légitimité, malgré leur marginalité. Soutenus par un peuple qui voit en eux l'espoir de faire régner la justice, ces bandits sont perçus comme invulnérables, et accèdent parfois au rang d'intermédiaire entre les hommes et la divinité. Modérés dans leur recours à la violence, les bandits au grand cœur s'opposent aux bandits vengeurs, héros sans être bons, dont l'existence permet de montrer le caractère potentiellement redoutable des pauvres. Le cruel Virgulino Ferreira Da Silva, tortionnaire de vieilles femmes, est l'un d'entre eux. Les Haïdouks, militaires issus de la paysannerie, en Hongrie et dans la péninsule des Balkans, sont un autre type de bandits tantôt classiques, tantôt sociaux. En tant que communautés libres, leur seule existence est un succès, en ce qu'elle montre que l'oppression n'est pas une fatalité. Organisés en groupes très structurés, ils sont pour l'auteur la forme la plus achevée de banditisme primitif. Notons à ce propos que le travail de bandit n'est pas à plein temps : comme pour la plupart des brigands, l'hiver, chez de nombreux Haïdouk, était le temps du retour en famille. Par exemple, les Haïdouks bulgares enterrent leurs armes le 14 septembre et ne les reprennent qu'à la Saint Georges, l'année suivante. Les bandits sont aussi des révolutionnaires aux méthodes criminelles, qui n'hésitent pas à voler pour collecter des fonds au service de leur projet politique. L'espagnol Francisco Sabaté Llopart, guérillero anarchiste, est l'un d'entre eux. Hobsbawm en dresse un portrait fort élogieux, ce sur quoi nous reviendrons.

4En dépit de ce dernier exemple de révolutionnaire aux méthodes de bandit, force est de reconnaître, que les bandits ne sont pas des personnages politiques révolutionnaires, encore moins des idéologues. Leur vision du monde est simplement réformiste : plutôt que de chercher à supprimer l'oppression, les bandits ne veulent que l'alléger, sans tenter de provoquer le moindre bouleversement social. Ils laissent les forts exploiter les faibles, à condition simplement que ces comportements soient accompagnés de l'exercice de devoirs.

5Les Seigneurs exerçant leur droit de cuissage peuvent ainsi dormir en paix, pourvu qu'ils veillent à l'éducation de leurs bâtards. En Russie notamment, les bandits n'avaient d'autres programmes que la destruction de l'appareil oppressif, même dans les heures les plus cruciales de la révolution. Mais les bandits peuvent se fondre dans certains mouvements politiques. En l'occurrence, ils comprennent sans mal les mouvements d'indépendance nationale, pourvu que ces combats se rattachent à une tradition sociale, ou à une tradition de résistance à l'étranger. Cependant, les bandits adhèrent avec difficulté au langage des gens instruits, et le puritanisme des seconds ne correspond guère à la prodigalité ostentatoire des premiers. Si les bandits chinois ont rejoint Mao Tsé-toung, ce fut pour une courte durée, et parce qu'ils admiraient l'esprit de sacrifice et de générosité des premiers. Rebelles mais non révolutionnaires, les bandits se rallient parfois aux autorités, soucieuses de s'attirer leurs faveurs. Réservoir d'hommes armés, les bandits accroissent le pouvoir électoral et militaire d'un gentilhomme. L'histoire montre en réalité que plus le développement économique est poussé, plus les riches considèrent les brigands comme des gens qui menacent la propriété et qu'il convient de supprimer. C'est alors que les bandits deviennent des hors la loi qui ont contre eux toutes les personnes respectables. Après avoir été héroïsé par la chanson et la légende populaires, le bandit devient la négation de l'humanité.

6Comment expliquer, à ce propos, que certains bandits, plutôt que d'autres; aient survécu à l'oubli et soient restés dans l'esprit populaire, des héros ? Pour Hobsbawm, l'explication est claire : parce que c'est la classe dominante qui écrit et réécrit l'histoire, les héros survivent dès lors qu'ils ne sont pas seulement des héros pour les dominés, pour les illégitimes. Comment comprendre, également, que le bandit, issu de la société paysanne, apparaisse dans les mass media d'un XX° siècle urbanisé ? Le bandit réapparaît en fait dans les pays qui possèdent encore quelques espaces vides, un « Ouest », qui leur rappelle un passé héroïque, symbolisant la pureté perdue. Enfin, nous dit Hobsbawm, le bandit, c'est aussi la liberté, l'héroïsme, et le rêve de justice, et comme en témoigne cet ouvrage, la redécouverte des bandits sociaux à notre époque est l'œuvre d'intellectuels et d'historiens.

7Abondant d'illustrations sur le banditisme, l'ouvrage d'Hobsbawm est passionnant à lire. C'est une des caractéristiques de cette nouvelle édition, puisque l'auteur a voulu prendre en compte les nouvelles évolutions du banditisme dans le monde. De même, Hobsbawm revient de manière approfondie sur les critiques qui lui ont été adressées, ce qui est propre à cette édition. Cela renforce encore son propos, et se révèle particulièrement intéressant pour le lecteur. De manière plus générale, les travaux d'Hobsbawm répondent à certaines interrogations fréquentes sur le banditisme : à tous ceux qui se demandent pourquoi les femmes sont telles absentes des groupes de bandits, l'auteur nous explique, par exemple, dans la première annexe de l'ouvrage, que « rien ne sape tant la solidarité que la rivalité sexuelle ». Qui plus est, Les Bandits tord le cou à nombre de préjugés, tel celui consistant à considérer ces hors-la-loi « comme des enfants de la nature, occupés à faire rôtir des cerfs dans les bois », comme on le lit au septième chapitre. Ce livre paraît également indispensable, parce qu'il redonne une existence à ceux qui, le plus souvent, ne furent jamais connus que dans leur lieu de naissance, en ayant au moins autant d'importance pour leur peuple que des Napoléon. Cependant, une critique peut être formulée. Si Hobsbawm nous met en garde, dans son ouvrage, en insistant sur le fait que les documents historiques tendent à héroïser les bandits, il succombe, lui aussi, à la tentation de la partialité. A propos du bandit Francisco Sabaté Llopart, anarchiste dévaliseur de banque, ayant quelques morts de policiers à son actif, Hobsbawm écrit ainsi que ce « Don Quichotte » « reste présent à notre mémoire en compagnie d'autres héros, et c'est justice ». Or Hobsbawm ne justifie pas entièrement cet éloge soudain, laissant le lecteur dubitatif. Rendons toutefois justice à son auteur : Les Bandits est un ouvrage remarquable, à lire et à relire, et qui ne fait que confirmer la place d'éminent historien et de grand sociologue occupée par Eric John Hobsbawm.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laure Célérier, « Eric Hobsbawn, Les bandits », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 11 novembre 2008, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/685 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.685

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Rédacteur

Laure Célérier

Professeure agrégée de sciences économiques et sociales - Université Paris Est-Créteil - IUT de Fontainebleau.

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