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Jean-Luc Metzger, Marie Benedetto-Meyer, Gestion et sociétés. Regards sociologiques

Thomas Blanchet
Gestion et sociétés
Jean-Luc Metzger, Marie Benedetto-Meyer (dir.), Gestion et sociétés. Regards sociologiques, L'Harmattan, coll. « Sociologie de la gestion », 2008, 223 p., EAN : 9782296064874.
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Texte intégral

  • 1 Le réseau thématique 30 de l'AFS, « sociologie de la gestion », existe en effet que depuis 2004.

1Cet ouvrage collectif a pour but principal de tracer les contours et de définir le contenu d'une branche de la sociologie récemment institutionnalisée en France, à savoir la sociologie de la gestion1. Comme le précisent Marie Benedetto-Meyer et Jean-Luc Metzger dans l'introduction de cet ouvrage, malgré la diversité des objets de recherche, les questionnements de cette sociologie tendent à converger vers l'analyse des « dispositifs » de gestion comme « des indices ou des révélateurs des logiques sociales et des stratégies d'acteurs à l'œuvre dans les organisations, ces logiques « s'incarnant » dans les « dispositifs » » (p. 17). Ainsi la sociologie de la gestion se doit non seulement d'étudier ces dispositifs de leur naissance à leur application et abandon mais également de dépasser le cadre d'analyse restreint que peuvent représenter les organisations pour se développer à des sphères sociétales plus larges. Pour les auteurs, un certain nombre de questionnements généraux structurent les débats actuels au sein de cette discipline : Comment définir ce terme central qu'est « le dispositif de gestion »? Comment définir l'objet même de la gestion? Quels sont les acteurs structurant les dispositifs de gestion? L'étude de la gestion doit-elle s'étendre à d'autres sphères que celle de l'entreprise et si oui de quelle manière peut-on analyser cette diffusion de la gestion d'une sphère à l'autre ?

2Dans le premier chapitre, Jean-Luc Metzger souligne le caractère central du concept de « dispositif de gestion ». Tout d'abord, il met en avant leur caractère structurant au sein des organisations. Produits de groupes professionnels, ces dispositifs exercent également une contrainte sur l'action et la représentation des acteurs au sein de l'organisation contribuant ainsi à la stabilisation de celle-ci. Cependant, afin d'éviter une réification du concept, il est également important de tenir compte du jeu des différents acteurs dans la construction de ces dispositifs qui seraient également instrument de domination. Par conséquent, le dispositif de gestion pourrait être également vu comme un triple instrument de prescription, de contrôle et d'évaluation utilisé par les managers au sein des organisations. Le rôle joué par les différents groupes professionnels au sein des organisations serait également primordial dans l'analyse des dispositifs de gestion et leur introduction serait ainsi au centre de conflit entre ces différents groupes (les managers et les gestionnaires d'une part, et les différents groupes professionnels concernés par ces nouveaux dispositifs de l'autre). En outre, un élément central de la gestion est la notion de performance, dont il convient d'analyser l'aspect idéologique, la légitimité qu'elle apporte à différents acteurs mais également les conséquences qu'elle peut avoir sur ceux-ci.

3Dans le second chapitre, Pierre Tripier, tente de définir l'objet de la sociologie de la gestion à travers une opposition avec d'autres courants sociologiques proches de celle-ci. Premièrement, la sociologie de la gestion se distingue d'une part de la sociologie du travail et de la Nouvelle Sociologie Economique par le fait qu'elle « bénéficie d'un rapprochement avec la dimension économique des organisations ». D'autre part, la définition du travail est pour la sociologie de la gestion plus orientée vers la vocation et l'intelligence (amélioration constante de l'organisation) que la sociologie du travail. L'auteur montre également certaines analogies avec les sciences historiques. Il serait ainsi nécessaire d'avoir d'une part une approche chronologique du phénomène de gestion et d'autre part une acceptation feuilletée de la réalité, c'est-à-dire, de prendre en compte la distinction entre le réel et le prescrit. Pour conclure, ce n'est, selon l'auteur, qu'en effectuant un lien entre savoir et action que la posture sociologique arrivera à se démarquer des sciences de gestion et des sciences politiques. En d'autres termes, le sociologue se doit de pouvoir non seulement décrire et analyser mais également conseiller.

4Frederik Mispelblom Beyer revient dans le chapitre suivant sur le concept de « dispositif » en accordant un intérêt particulier à la notion d' « orientation de travail ». Une condition préalable à l'analyse de la gestion est de distinguer le concept de « dispositif » d'un simple instrument. Celui-ci doit donc être plutôt considéré comme un processus dynamique regroupant à la fois les outils de gestion ainsi que leur appropriation, déformation et détournement. L'introduction d'un nouvel outil de gestion entraînerait selon l'auteur, l'apprentissage d'un nouveau langage, le plus souvent inconnu au départ et tendant à se naturaliser, lui-même lié à des croyances, des principes qui entrent en coopération ou en conflit. Il s'appuie pour cela sur la notion d' « orientation de travail », à la fois singulière et hétérogène, à la fois « de nature langagière » et ayant « des soubassements techniques, financiers, réglementaires, institutionnels » (p.81). Enfin, la distinction entre la sociologie de la gestion de la sociologie du travail résiderait pour lui dans l'étude des techniques, leur construction sociale et la manière dont les sujets sociaux les humanisent, c'est à dire, en parlent.

5Dans le quatrième chapitre, Nicolas Flamant traite de la question de l'articulation entre dispositif de gestion et démarche anthropologique. « Que faire des dispositifs de gestion au cours de l'enquête anthropologique dans l'entreprise ? » (p.92). Afin de dépasser cette logique rationnelle, basée sur l'efficacité et la performance, il convient pour lui d'effectuer dans un premier temps un double travail de description factuelle sans tenir compte du rôle des dispositifs de gestion et d'interrogation, du sens que les acteurs accordent aux dispositifs de gestion qu'ils utilisent. Cette démarche est notamment essentielle afin de mettre à jour la dimension idéologique du dispositif. Cette dimension, lui donnant un sens et une finalité cohérents, est ce qui le distingue d'un simple instrument de gestion. Pour objectiver ce dispositif, il convient de le re-contextualiser en le replaçant dans son histoire et en interrogeant la pluralité des acteurs concernés par celui-ci. Enfin, cette démarche anthropologique doit être comparée à d'autres disciplines s'intéressant également, telles que la sociologie du travail, la sociologie des organisations ou la sociologie de l'entreprise, à l'entreprise afin d'y mettre en avant les convergences et divergences.

6Pour définir cette sous-discipline, Eve Chiapello, part, dans le cinquième chapitre, de trois questionnements. Tout d'abord, elle s'attache à se poser la question des frontières entre la sociologie de la gestion et ses autres sœurs cadettes. Celle-ci, par opposition à la sociologie économique, s'occuperait de l'analyse des hiérarchies et non des marchés. Contrairement à la sociologie des organisations, elle serait beaucoup plus particulière dans la mesure où il serait question d'analyser un phénomène interne à l'entreprise, à savoir, les actes de gestion. Enfin, la sociologie de la gestion serait plus large que la sociologie du travail, car étendrait « la liste des travailleurs et des natures de travaux étudiés » (p. 104). Le second questionnement se rapporte aux spécificités de l'objet gestion. Pour l'auteur, la gestion serait constituée d'un certain nombre de techniques qui, sous une neutralité apparente, « encapsulent » des dimensions politiques et cognitives. Le but de la gestion reste la recherche du profit qui est atteinte à travers une perpétuelle quantification, mesures et calculs sur les différentes activités en entreprise et permettant également d'effectuer des jugements sur les performances. Enfin, le troisième questionnement de l'auteur concerne la différenciation de la sociologie de la gestion et des sciences de gestion. Cette dernière aurait, au cours des dernières décennies, adopté une démarche beaucoup plus « positive » ayant pour conséquences, d'une part, un détachement entre le monde de l'entreprise et le monde de la production scientifique en gestion et, d'autre part, le rapprochement des sciences de gestion avec les autres sciences humaines. Ce rapprochement rendrait indispensable l'analyse de l'appropriation de la sociologie par les sciences de gestion.

7Dans le sixième chapitre, Sylvie Craipeau et Jean-Luc Metzger apportent quelques éléments de réflexion sur les fondements d'une sociologie critique de la gestion. Autrement dit, il s'agirait de questionner un modèle universaliste porté par un groupe professionnel particulier, celui des gestionnaires, et s'étendant au-delà de sa sphère respective. La gestion serait en effet devenue « un véritable fait social total » (p. 124). Elle ne touche plus simplement les entreprises mais également les administrations publiques, la famille, les relations personnelles ou bien le sport. Par conséquent, la gestion se naturalise peu à peu disqualifiant les logiques s'y opposant. Faire une sociologie critique de la gestion, en opposition à la sociologie « technique de la gestion » permet alors de procéder à une dénaturalisation des faits de gestion. Les auteurs définissent ainsi ici la gestion de manière dynamique, c'est à dire, comme « tension, lutte permanente entre deux systèmes de dispositifs » (p. 129) conçus d'une part par différents groupes professionnels et d'autre part par les gestionnaires. Cette lutte est à prendre dans une perspective historique en reprenant la genèse des différents groupes professionnels ayant participé à la constitution du phénomène de gestion au sein des organisations. Une autre notion essentielle à explorer est la performance ainsi que la construction d'une définition légitime de celle-ci au sein des organisations. D'un point de vue méthodologique enfin, l'auteur prône une sociologie critique dans laquelle seraient pris en compte les contextes macro-sociologiques et macro-économiques et met en garde à la fois contre des études parcellaires désincarnées de tout contexte et contre une interdisciplinarité pouvant parfois mener à la domination d'une des disciplines vis-à-vis des autres.

8Les hypothèses de travail abordées dans le septième et dernier chapitre par Salvatore Maugeri se rapportent d'une part aux outils de gestion en tant que « dispositifs de disciplinarisation et de domination de la force de travail » (p.151). D'autre part, ces dispositifs doivent être pour lui ramenés aux dispositions des individus qui les produisent. Sa pratique de la sociologie de la gestion serait pour lui une prolongation des grandes interrogations de la sociologie du travail, à savoir « comprendre les dynamiques sociales de situations de travail propre au capitalisme industriel et caractérisées par des interactions entre groupes professionnels coopératifs/antagonistes, pour envisager leurs conséquences sur l'homme et les rapports sociaux dans et hors travail » (p. 152). Le but des dispositifs de gestion serait d'encadrer les activités de travail. Par conséquent, il faut donc penser le management en terme de domination, de disciplinarisation de la force de travail. Cette domination serait, selon l'auteur, aujourd'hui largement pratiquée par l'actionnariat. L'approche adoptée dans ce chapitre semble proche d'une posture critique dans la mesure où la sociologie de la gestion se devrait d'interroger ce qui dans ces projets gestionnaires affecte les relations entre les hommes. Il convient donc d'analyser la production sociale de ces dispositions des individus produisant et soutenant ces dispositifs de gestion. L'intérêt de l'auteur se tourne également vers les indicateurs de performances financières, permettant de définir des objectifs homogènes, auxquels est subordonnée l'action. Autrement dit, ces indicateurs, formés par les dispositifs de gestion, « construisent la réalité organisationnelle » dans laquelle s'inscrivent les rapports sociaux. Finalement, il est nécessaire de prendre en compte tout le travail effectué par les différents acteurs (dont avant tout les consultants) afin de légitimer et d'introduire ces dispositifs de gestion au sein des organisations. Le processus de domination effectué par le couple actionnaire / manager serait donc permis par les dispositifs de gestion qui eux doivent être soutenus, interprétés par les individus.

9Malgré une perspective essentiellement centrée sur la sociologie française, pouvant mener le lecteur à s'interroger sur les évolutions de cette sous-discipline dans les autres pays, la diversité, aussi bien méthodologique, qu'épistémologique ou théorique, des contributions publiées dans cet ouvrage montre avec succès la richesse d'une sous-discipline émergeante dans le champ de la sociologie française.

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Notes

1 Le réseau thématique 30 de l'AFS, « sociologie de la gestion », existe en effet que depuis 2004.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Thomas Blanchet, « Jean-Luc Metzger, Marie Benedetto-Meyer, Gestion et sociétés. Regards sociologiques », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 mai 2009, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/761 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.761

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Rédacteur

Thomas Blanchet

Doctorant au « Pfadkolleg », département d'économie, Freie Universität Berlin.

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