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Alice Krieg-Planque, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique

Frédéric Chateigner
La notion de « formule » en analyse du discours
Alice Krieg-Planque, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Annales littéraires », 2009, 144 p..
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Texte intégral

  • 1 Emergence et emplois de la formule « purification ethnique » dans la presse française (1980-1994). (...)
  • 2 « Purification ethnique ». Une formule et son histoire, Paris, CNRS Editions (collection Communicat (...)

1Alice Krieg-Planque, maîtresse de conférences en Sciences de l'information et de la communication à l'université Paris 12-Paris Est, a consacré en 2000 une thèse de sciences du langage aux usages dans le discours public français de l'expression « purification ethnique » au sujet de la guerre en ex-Yougoslavie1. L'ouvrage tiré de cette thèse 2 n'en reprenait malheureusement pas le 1er chapitre, contribution théorique et méthodologique à l'analyse discursive des formules, c'est-à-dire des « ensembles de formulations qui, du fait de leur emploi à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à construire » (p. 7). C'est ce chapitre qui est ici publié. Ainsi détachée de l'enquête qu'elle a orientée, la notion de formule est présentée comme un outil à la disposition de tou-te-s les chercheur-ses qui, confronté-e-s dans le débat public à des expressions « toutes faites », « figées », des « locutions », des « slogans », de la « phraséologie », etc. - souhaiteraient étudier ce matériau sans se cantonner à des impressions intuitives ou à un bricolage méthodologique amateur.

2Dans les trois premiers chapitres, l'auteure décrit l'émergence de la notion de formule en analyse du discours. D'abord (chap. 1) en situant l'analyse des formules comme un domaine connexe de la riche tradition d'analyse du vocabulaire socio-politique : vastes entreprises collectives comme le Dictionnaire des usages socio-politiques du français sous la Révolution ou monographies (« révolution », « classe », « anarchie », « grève »... jusqu'à la locution « du pain et X »), tous ces travaux s'attachent à des « mots-clés », « mots-phares », « mots-étendards »... La notion de formule, quant à elle, est d'abord proposée par le philosophe et poète Jean-Pierre Faye dans ses recherches sur les « langages totalitaires » et notamment sur l'expression « totale Staat » (chap. 2). Cette première approche, très heuristique mais difficilement transposable en tant que telle, sert de base aux travaux de Pierre Fiala et Marianne Ebel (chap. 3). Ceux-ci développent une notion de formule spécifique à l'analyse du discours et mettent en lumière, à propos des termes « Überfremdung » et « xénophobie » en Suisse, des propriétés fondamentales : le caractère de « référent social » de la formule et son statut polémique - des propriétés qu'A. Krieg-Planque va préciser et enrichir à son tour. C'est en effet surtout le chapitre 4 qui retiendra l'attention. L'auteur y définit systématiquement la notion de formule en relevant quatre critères.

31) La formule « présente un caractère figé », c'est-à-dire qu'elle consiste en une séquence relativement stable, allant de l'unité lexicale simple (un mot isolé : « perestroïka », « humanitaire »...) à une unité lexicale complexe (« purification ethnique »), une phrase (« la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ») ou une unité lexico-syntaxique (disons une séquence « à trous » : « Du pain et ... »). L'attention aux opérations de figement, qui vont jusqu'à la sloganisation ou à la siglaison, souligne en retour l'importance des tentatives de défigement par lesquelles la formule est à nouveau accessible à l'inventivité lexicale. On comprend que le respect scrupuleux de la lettre des formules étudiées doive ici l'emporter sur la tentation de réduire, par transformations sémantiques ou morpho-syntaxiques, la diversité des occurrences relevées.

42) La formule est avant tout une notion discursive, et non linguistique. C'est-à-dire qu'aucune tournure n'est intrinsèquement destinée à devenir formule ou empêchée de le devenir : certaines séquences deviennent formules dès leur naissance, mais la plupart n'accèdent à ce statut - qu'elles peuvent également perdre - qu'après une première vie de simple « expression ». Ce critère, qui affirme la prééminence des usages discursifs sur les propriétés linguistiques, semblera en général plus naturel, voire évident, au sociologue qu'au linguiste. Il attire toutefois l'attention sur les antécédents d'expressions ayant apparemment toujours-déjà fonctionné comme formules, mais qui en réalité ont connu une première vie avant de devenir telles : ainsi de « fracture sociale », employée sans susciter de commentaires par J.-P. Chevènement trois ans avant la fameuse campagne présidentielle de J. Chirac.

53) La formule « fonctionne comme un référent social », c'est-à-dire que le signifiant en question doit être très largement connu et référer pour tous à une réalité, certes controversée, mais commune. Pour vérifier ce critère, l'auteure rejette l'imposition de problématique que représenterait une hypothétique approche par sondage (« qu'est-ce que "épuration ethnique" évoque pour vous ? »), au profit d'un éventail d'indices : mesures de fréquences dans tel ou tel corpus, repérage de dérivations qui attestent que la formule originale est suffisamment bien implantée pour faire l'objet d'innovations lexicales, diversification des sous-espaces publics où la formule est d'usage, absence ou présence de celle-ci à différents moments dans des contextes analogues, position dans les titres médiatiques.

64) La formule « comporte un aspect polémique », elle, est porteuse d'enjeux socio-politiques que traduisent les débats à la fois sur ce qu'elle désigne et sur la manière dont elle le désigne. Toute la variété des stratégies à l'égard d'une manière de nommer et catégoriser le réel (rejet, acceptation, retournement...) est ici concernée. On s'intéressera donc particulièrement aux nombreux cas où les locuteurs, loin d'un usage nécessairement naïf et réaliste, achoppent sur la formule, la mettent en question, la rapporte à des concurrents ou des autorités, etc.

7Ces quatre critères, précise le chapitre 5, ne définissent naturellement qu'un idéal-type : chacun d'entre eux est susceptible d'être vérifié à des degrés très divers. La notion de formule doit donc pouvoir servir à étudier des expressions qui ne vérifient pas strictement tous ceux-ci. Ce chapitre précise aussi les raisons du choix du terme « formule », le traitement réservé à la notion d'espace public et celui accordé aux médias.

8De taille limitée, l'ouvrage ne saurait évidemment être un guide méthodologique complet. Une fois admis que la notion de formule, ainsi définie, peut servir à une recherche, beaucoup de choix restent à faire : définition des variantes, relevé des occurrences, catégorisation, articulation éventuelle avec les statistiques textuelles... Bon nombre de ces questions reçoivent des éléments de réponse dans la suite de la thèse : réponses spécifiques à la formule « purification ethnique », cependant, que chacun devra confronter aux enjeux et contraintes de sa recherche. Mais en quelques dizaines de pages, dont la clarté n'est en rien diminuée par la rigueur technique, Alice Krieg-Planque rend disponible un cadrage extrêmement fécond et stimulant.

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Notes

1 Emergence et emplois de la formule « purification ethnique » dans la presse française (1980-1994). Une analyse de discours, thèse de doctorat en sciences du langage soutenue le 9 novembre 2000 à l'Université de Paris 13 - Paris-Nord, 3 vol., 840 p

2 « Purification ethnique ». Une formule et son histoire, Paris, CNRS Editions (collection Communication), 2003, 523 p. Voir aussi « "Formules" et "lieux discursifs" : propositions pour l'analyse du discours politique », Semen, 21, 2006.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédéric Chateigner, « Alice Krieg-Planque, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 17 mai 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1011 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1011

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Rédacteur

Frédéric Chateigner

Doctorant en science politique à l'Université de Strasbourg, membre du PRISME-GSPE (Groupe de Sociologie Politique Européenne, UMR 7012 CNRS)

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Droits d’auteur

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