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Dominique Borne, Benoît Falaize, Religions et colonisation. Afrique-Asie-Océanie-Amériques XVIe-XXe siècle

Laure Célérier
Religions et colonisation
Dominique Borne, Benoît Falaize (dir.), Religions et colonisation. Afrique-Asie-Océanie-Amériques XVIe-XXe siècle, Éditions de l'Atelier, 2009, 335 p., EAN : 9782708240322.
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Texte intégral

1La mémoire française de la colonisation n'est ni sereine, ni apaisée, en témoignent la volonté récente de légiférer sur l'enseignement des aspects positifs de la colonisation, ... ainsi que certaines oppositions scandalisés à ce projet de loi, fondées notamment sur une critique morale du fait colonial. De ce fait, il paraît sain de se pencher davantage sur une approche scientifique de la colonisation, d'autant que les travaux universitaires à ce sujet se sont grandement renouvelés ces trente dernières années, sans que le débat public ne s'en inspire réellement. L'ouvrage Religion et colonisation, écrit sous la direction de Dominique Borne et Benoît Falaize, paru en 2009 et réunissant les contributions de vingt-quatre universitaires, propose justement une diversité enrichissante de points de vue à propos de la place du religieux dans le fait colonial. L'ouvrage questionne également la légitimité de la vulgate de l'enseignement du fait colonial, résumé par le trio apparemment indissociable des « 3C » - commercer, christianiser, civiliser. Nous en apprenons davantage sur la complexité des rapports entre missionnaires et colons, sur l'inégale réussite des entreprises de conversion, ainsi que sur les évolutions et lacunes de l'enseignement du fait colonial en France.

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2L'ouvrage nous apprend tout d'abord que missionnaires et colons entretiennent des rapports difficiles et mouvants. Certes, comme dans le cas de l'Amérique ibérique, les missionnaires, jouant le rôle de diplomates, civilisant les populations, dirigés directement par les souverains - dans le cas où ces derniers sont patrons des Eglises d'Outre-Mer - ont participé à la structuration de l'espace colonial. Certes également, ces églises permettent de légitimer la colonisation : l'expansion européenne dès le XIII° siècle ne peut se penser hors du cadre conceptuel de la religion, des théories catholiques émergent pour justifier la traite et l'esclavage - ce dernier étant finalement condamné en 1839 par le pape Grégoire XVI. Mais les missionnaires et colons s'opposent souvent, car ils poursuivent des objectifs divergents. Comme l'écrit Claude Prudhomme, « la quête de puissance politique et de rentabilité économique qui caractérise la colonisation s'accorde mal avec la mission qui vise la construction d'Eglises autochtones et la christianisation de la société1 » . Certains prêtres de l'Amérique ibérique s'opposent ainsi à l'esclavage pour des raisons pragmatiques : la christianisation servile n'est pas des plus efficaces, et les esclaves bénéficient dans l'ensemble de peu de moments de loisirs, pourtant nécessaires à la pratique religieuse. Cependant, c'est réellement au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale que l'Eglise catholique bascule réellement en défaveur de la colonisation. La France, qui envoie trois missionnaires catholiques sur cinq dans le monde en 1900, adapte sa loi de 1905 à ce si particulier contexte colonial. A l'exception de Madagascar et de l'Algérie, dans lesquels la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat finit par être retranscrite, les colonies françaises illustrent la phrase que Paul Bert prononça en 1885 : « L'anticléricalisme n'est pas un article d'exportation ». Eduquant à peu de frais les populations locales, apportant un important soutien à l'œuvre civilisatrice de la France, offrant un rempart contre les religions traditionnelles dont les représentants sont souvent hostiles au pouvoir en place, les missionnaires sont trop utiles pour que la loi de 1905 trouve une application au-delà des mers. Une Sainte Alliance entre l'Eglise et la République naît dans les colonies, au moment même où la république laïque prend son essor, où Le tour de France par deux enfants est expurgé de toute référence religieuse.

3Les entreprises de conversion furent ensuite inégalement couronnées de succès. D'une part, parce que les colons n'y ont pas tous accordés le même intérêt : ainsi, l'Espagne, le Portugal et la France accordent-ils une attention particulière aux religions, tandis que Britanniques et Néerlandais sont plus réservés sur la question, mettant au premier plan leurs intérêts commerciaux. Il faut dire que les protestants ont longtemps considéré que les conversions ne devaient qu'être le fruit de la volonté divine ! D'autre part, parce que les colonisés ont exercé d'inégales résistances face au pouvoir colonial. Les missionnaires étaient souvent obligés, pour limiter l'émergence de conflits et séduire les autochtones, d'accepter les syncrétismes résultant de la confrontation des religions locales avec les religions des colons. Ces syncrétismes sont également, souvent, une réappropriation par les colonisés de la culture dominante. En Guadeloupe, dévotion et morale sont ainsi dissociées : le caractère pieux des habitants n'empêche pas qu'au XIX° siècle, une naissance sur deux est illégitime, et cela n'est absolument pas perçu comme une transgression insupportable des normes sociales. Dans les pays de l'Indochine, la tradition religieuse bouddhiste est même maintenue, sous la direction d'un roi contrôlé par les colons, pour mieux affermir la soumission du peuple. Cependant, cette tolérance à l'égard des syncrétismes ou des religions locales ne vaut pas partout. En Algérie, nombre de mosquées furent ainsi transformées, tantôt en cathédrales, parfois en écuries. L'arabe fut relégué au rang de langue étrangère. Cette violence symbolique et réelle à l'égard de la religion musulmane eut pour effet contre-productif de renforcer la ferveur religieuse des Algériens, dont la pratique de l'islam devint expression de civisme. Un effet inattendu de la religion sur l'expression du nationalisme s'est également observé au Viêtnam, où les catholiques locaux, soucieux de ne pas paraître comme des traîtres à la botte des colons, comptèrent parmi les défenseurs ardents de l'indépendance. Enfin, dans certaines contrées, l'échec des tentatives de christianisation fut maladroitement masqué. En Kabylie, les convertis furent principalement des orphelins, des marginaux, des veuves avec enfants à charge espérant probablement une aide matérielle de l'Eglise, ou enfin des vieillards moribonds. Les traces de réels cheminements spirituels manquent. Les conversions religieuses ne furent pas toutes aussi hasardeuses et passagères. En Amérique Latine, les indépendances n'ont ainsi pas marqué de rupture claire sur le plan religieux. Les équilibres religieux furent également préservés dans le monde malais, à tel point que ces équilibres déterminèrent le tracé des frontières lors de l'indépendance.

4Et quel est l'enseignement proposé de ce fait colonial ? Aux peuples colonisés tout d'abord, l'enseignement religieux insiste sur la soumission au pouvoir et le refus des religions précédemment pratiquées. En France, malgré la loi de 1905, la religion continue d'irriguer l'enseignement. Les anciennes croisades sont louées et le christianisme est ainsi enseigné aux élèves français comme offrant un idéal de pureté libérant les colonisés. La religion sert de justificatif à l'impérialisme français. Au contraire, les religions des colonisés sont présentées comme des archaïsmes ou, dans le cas de l'islam, l'expression des plus obscurs fanatismes. Aujourd'hui, le fait colonial est abordé en primaire et au collège à travers l'étude de la constitution des premiers empires, et cette dernière est approchée sous un angle de plus en plus riche et complexe. Au lycée, les colonisations autres que françaises sont peu abordées, et la classification simpliste des modes de colonisation selon le pays qui l'orchestre laisse à désirer. Surtout, il semble encore persister un point de vue occidental opposants les colons civilisés à des colonisés moins civilisés, assimilant christianisme, humanisme et civilisation, tandis que dans d'autres manuels, l'explication du racisme come norme en vigueur au moment de la colonisation est insuffisamment menée, ce qui nuit à la compréhension de la colonisation comme étant conforme à l'esprit d'une époque. Au final, on observe souvent que l'interprétation moralisatrice du fait colonial prend encore trop le pas sur l'analyse scientifique et rigoureuse. L'islam reste souvent abordé comme un archaïsme, vecteur d'oppression pour les femmes. Enfin, les manuels montrent encore insuffisamment que les colonisés ne subissent pas de manière passive la colonisation, dont ils parviennent à se réapproprier certains symboles. A l'avenir, on peut cependant craindre que la diminution des ambitions en matière d'enseignement de certaines sciences humaines, ne soit bonne qu'à mener à une réduction, à la portion congrue, de l'enseignement du fait colonial.

5Religion et colonisation est une réelle bible, la rigueur scientifique en plus, renseignant sur la question des liens entre le fait colonial et la question confessionnelle. Proposant une pluralité de points de vue et abordant des questions originales - comme la place des femmes dans la colonisation, si peu abordée par ailleurs - l'ouvrage est incontestablement enrichissant. Il ne s'agit pas d'un ouvrage de vulgarisation, plutôt d'une mine d'informations - et de textes historiques, présentés en fin d'articles - à destination de personnes relativement sensibilisées aux problématiques des sciences humaines. Tout enseignant d'histoire-géographie y trouvera une abondance de matériaux pour traiter de ce délicat sujet avec ses élèves, tout passionné de sciences humaines y trouvera son compte, même si un article, écrit par un fervent religieux (apparemment), paraît quelque peu subjectif et excessivement optimiste quant au rôle des religions dans la colonisation.

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Notes

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laure Célérier, « Dominique Borne, Benoît Falaize, Religions et colonisation. Afrique-Asie-Océanie-Amériques XVIe-XXe siècle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 04 février 2010, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/926 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.926

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Rédacteur

Laure Célérier

Professeure agrégée de sciences économiques et sociales - Université Paris Est-Créteil - IUT de Fontainebleau.

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