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Bernadette Bensaude-Vincent, Les vertiges de la technoscience. Façonner le monde atome par atome

Tam-Kien Duong
Les vertiges de la technoscience
Bernadette Bensaude-Vincent, Les vertiges de la technoscience. Façonner le monde atome par atome, La Découverte, coll. « sciences et société », 2009, 223 p., EAN : 9782707156334.
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Texte intégral

1Les Vertiges de la technoscience de Bernadette Bensaude-Vincent est un ouvrage de sociologie et d'histoire contemporaine des sciences clairvoyant par la lecture minutieuse et documentée du lent déplacement de la sphère scientifique. Adoptant une posture moins dramaturgique et plus critique que les auteurs d'horizons postmoderniste ayant thématisé la « techno-science », Bernadette Bensaude-Vincent nous offre ici un décryptage éclairé de ce terme et de la ramification des usages et des récupérations de ce terme galvaudé. De ce réseau de significations, le concept de « convergence » est celui qui semble retenir le plus l'attention et focaliser les espérances et l'horizon des tentatives scientifiques de construire un nouveau régime de connaissance, favorable à une alliance entre les sciences et techniques issus de l'échelle nano, des biotechnologies et des sciences de l'information et de la communication, souvent réunies sous le sigle NBIC.

2Le livre se divise en trois grands moments. Dans un premier temps, l'argumentation effectue une description archéologique de l'évolution du rapport sémiotique entre science et technique pour aboutir finalement à l'idée de la technoscience, terme aux significations dépendantes d'une histoire cumulative de tentatives de redéfinition. Le second moment est l'analyse de l'espace de différences sémiologiques, imposées lors de la constitution du terme, comme un espace de rencontres entre des visions culturelles et sociologiques différentes autour de pratiques frontières et d'intérêts communs. La troisième partie de l'ouvrage se consacre à la vision latente de la société que masquent les discours sur la science et la nature. Crispations sur la nature de l'être humain dans sa dépendance à ses outils techniques (le thème du cyborg) et discours tentant de redonner une position forte à l'être humain dans l'ordre du monde, sont des problématiques issues de la constitution progressive d'un rapport entre l'humain et la nature par la médiation de la technique et des origines scientifiques de celle-ci.

3Le corpus de preuve est articulé autour de deux pôles : les manifestes scientifiques et les tentatives de coordination politique d'organisations pan-étatiques comme la Commission Européenne ou les agences américaines. Ces deux univers se croisent autour de « discours promotionnels » allant de la profession de foi à une tentative de rationaliser les enjeux et l'usage des fonds alloués à la recherche scientifique. Un des intérêts de ce livre se situe sûrement dans la description et le commentaire des politiques des sciences et de l'innovation. Souvent occultées dans le débat public, le livre permet de mieux comprendre les directions proposées par les institutions étatiques de régulation et la posture militante de certains scientifiques. Que l'on parle d'équilibrage ou de renversement du rapport entre science et technique, les discours ayant un rapport à la technoscience s'inscrivent toujours dans une volonté d'intégrer la science, ses découvertes et ses applications autant dans le secteur industriel que dans la gestion sociétale et le rapport au monde de l'humanité.

4Un second point fort est la posture quiétiste de désamorçage des nœuds problématiques du réseau de significations et d'intentions. En utilisant une approche agnostique et neutre vis-à-vis des différents acteurs et ambitions de l'alliance entre science et technique, l'auteure propose une analyse explorant de façon juste les différentes implications éthiques. Les habitués de l'analyse Latourienne ne devraient pas être dépaysés par l'image proposée de l'avenir dans cet ouvrage, car il y emprunte des outils analytiques fondateurs, tels que les communautés intermédiaires. Pourrait-on comprendre la technoscience sans ces acteurs qui ne sont ni des scientifiques, ni des industriels purs et durs, mais une hybridation entre les deux cherchant une exploitation raisonnée des découvertes scientifiques ? Loin de l'analyse de l'imaginaire souvent associée à ces termes, l'auteure propose pourtant une analyse réaliste. Cet avenir aura principalement comme lieux de frictions la place de la pratique scientifique à la fois à son interface économique, la connaissance comme une production, et son interface idéologique, la science comme articulation entre société, nature et technique. Cette lecture pointe ainsi plus l'indigence et l'absence de maturité des tenants orthodoxes des discours de promotion de la grande convergence plutôt qu'une extension catastrophiste des visions issues de l'imaginaire collectif et façonnées par les secteurs littéraire et cinématographique. C'est dans les décalages des anciennes distinctions épistémologiques (le naturel vs l'artificiel, l'inerte et le vivant, la science pure et la science appliquée, etc) que se lisent les intentions des acteurs du champ sociopolitique des technosciences. Le concept d'aplatissement du monde devient la clef de voute critique permettant à l'auteure de montrer l'avenir que nous propose la digestion, sans recul, de cet ensemble de préconceptions du monde.

5Pour résumer, ce livre est une lecture incontournable dans le débat contemporain sur la science et son rapport à la technique, son intégration à une économie de la connaissance et les enjeux politiques qui ne sont pas nécessairement évidents pour le grand public. A la fois synthétique, documenté et clarifiant, ce livre convient à la fois à un public de scientifiques, de politiques et des personnes s'intéressant à la science et sa place dans la société. Les militants d'une science avant-gardiste et les plus pessimistes y trouveront également une vision neutre et peut-être également l'origine de braquage empêchant certains dialogues et instituant un climat d'incompréhension dans l'articulation entre science, technique et humanité. Par l'intermédiaire des sciences de l'information et de la communication, ce décryptage de la science contemporaine fournira également aux acteurs des sciences humaines une base de réflexion sur l'intégration progressive des nouvelles technologies de communication dans la pratique de l'étude du social. La simulation des sociétés artificielles n'échappera sans doute pas aux critiques qui ont été faites aux approches computationnelles des sciences de la nature. N'ayant pas seulement une fonction critique, l'alliance entre l'informatique et les sciences humaines et sociales réintègre celles-ci dans le débat de l'ingénierie et de la conception.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Tam-Kien Duong, « Bernadette Bensaude-Vincent, Les vertiges de la technoscience. Façonner le monde atome par atome », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 11 janvier 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/913 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.913

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