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Imitation et anthropologie

Laurence Piaud
Imitation et anthropologie
« Imitation et anthropologie », Terrain, n° 44, 2005, 170 p., Maison des Sciences de l'Homme, EAN : 9782735101634.
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Notes de la rédaction

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Texte intégral

1Vous avez tous entendu parler de la vieille querelle entre Emile Durkheim et Gabriel Tarde et vous pensiez tous que ce brave Emile avait définitivement gagné ? Détrompez-vous ! Ce numéro de la revue Terrains s'efforce de nous démontrer le contraire et de façon convaincante, il faut bien l'avouer ! En 1890, Tarde publie Les lois de l'imitation, et s'attire les foudres de Durkheim pour qui les phénomènes sociaux sont forcément coercitifs. Or Tarde cherche à montrer le rôle de l'imitation dans les phénomènes de transmission culturelle, s ‘inscrivant en cela dans la lignée de Darwin, Le Bon, etc.

2Ses observations semblaient aussi aller contre la tendance à la rationalité dans les sociétés modernes. Pourtant, les plus récentes observations du monde social comme du monde animal montrent que la coupure que nous avons instaurée entre l'inné et l'acquis est bien fragile. Ce numéro de Terrain fournit plusieurs exemples concrets de processus d'imitation et replace le débat ancien dans le contexte scientifique actuel. Ainsi, vous saviez tous que vos rejetons sont des prodiges, et qu'ils sont capables de vous tirer la langue (protrusion en langage savant !) dès l'âge de 9 mois ! Ce que montrent N. Meltzoff et M. Keith Moore dans l'article intitulé « Imitation et développement humain : les premiers temps de la vie », c'est que dès les premières heures les nouveaux-nés sont capables d'imiter des gestes simples, surtout des expressions faciales. Ensuite, ils sont capables d'imiter des comportements et surtout avec retard, ce qui oblige à distinguer deux formes de mémoire, déclarative et procédurale. Ces conclusions renversent la conception de Piaget de stades de développement. A quoi sert l'imitation ? Elle sert à identifier des gens, se situer par rapport à eux et enfin à développer la notion du moi et de l'autre !

3L'étude du comportement animal soulève aussi de très nombreuses questions quant à la nature et au rôle de l'imitation dans les processus de transmission. L'article «  L'imitation dans le monde animal : Information publique et évolution culturelle » (Etienne Danchin, Luc-Alain Giraldeau, Thomas J. Valone et Richard H. Wagner) renverse nombre de nos certitudes. Signé par quatre éthologues travaillant dans divers laboratoires, en France, au Canada, aux Etats-Unis, et en Autriche, cet article présente les principales informations obtenues par l'observation de comportements aussi divers que la recherche de nourriture, l'habitat, le choix du partenaire, la fuite devant le danger et les dommages causés. Les chercheurs se sont aperçus que les animaux s'observent les uns les autres et cherchent à imiter ceux qui leur semblent les mieux lotis, mais la nouveauté est que les animaux ne gardent pas ces informations pour eux, ils les font partager par ce que les auteurs appellent l'information publique, autrement dit l'équivalent de notre commérage ! L'information publique peut aussi être acquise par inadvertance grâce à certains signaux. Enfin, on remarque aussi le rôle de l'indiscrétion qui consiste à observer les interactions des autres. Par exemple, il est intéressant de noter qu'un combat de mâles suivi par des femelles augmente la combativité des mâles, tandis que si il est suivi par d'autres mâles, il n'y a pas de modification ! Ce qui est également intéressant, c'est que cette information publique va se transmettre par voie non génétique, ce qui ressemble fort à un processus culturel. Pour un évolutionniste, la culture n'est qu'un autre moyen de créer de la variation héritable ! On observe la transmission de comportements qui permettent aux animaux de s'adapter aux modifications de leur environnement et sélectionner les comportements les plus rationnels.

4L'article de Felicia McCarren, intitulé « Le hip-hop, une autre révolution», offre un bon exemple d'imitation variable et adaptative, cette fois dans les sociétés humaines. Le hip-hop est une danse née dans les ghettos noirs américains. Dans le domaine de l'art, l'artiste se veut singulier et son art unique, même si l'imitation et la parodie sont une voie possible de l'expression artistique. Le débat est connu (voir le numéro que Sciences Humaines a consacré à l'art en juin-juillet-août 2002), mais Felicia McCarren le renouvelle en étudiant comment cette forme spécifique de danse, basée sur l'improvisation et pratiquée exclusivement dans la rue aux Etats-Unis, est enseignée en France. Il apparaît ainsi que les jeunes qui pratiquent cette danse ont des parents ayant connu un passé colonial, ce qui leur permet d'accéder à un langage spécifique et de se donner ainsi une identité propre en donnant des sens différents pour des gestes façonnés par les noirs américains : ils réinterprètent les codes américains en fonction de leur histoire. En même temps, le hip-hop est enseigné dans des centres sociaux et on peut remarquer cette spécificité bien française des politiques culturelles.

5Il y a d'autres articles passionnants dans ce numéro de Terrain, notamment sur « l'assimilation » et la « décivilisation » dans les colonies françaises, et sur le tourisme et l'imitation dans la Polynésie française... Si vous aimez les croisements féconds entre les sciences humaines, les rapprochements audacieux et les remises en cause, la lecture en est chaudement recommandée. Signalons, pour finir, que cette excellent revue vient d'adhérer à la fédération de revues en lignes Revues.org, et qu'elle a commencé à mettre en ligne le texte intégral de plusieurs de ces numéros antérieurs...

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laurence Piaud, « Imitation et anthropologie », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 22 juillet 2005, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/182 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.182

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Rédacteur

Laurence Piaud

Laurence Piaud est professeur de sciences économiques et sociales au Lycée Condorcet de Saint-Priest (Rhône).

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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