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Albert Piette, L'acte d'exister : une phénoménographie de la présence

François Lamé
L'acte d'exister : une phénoménographie de la présence
Albert Piette, L'acte d'exister : une phénoménographie de la présence, Socrate Promarex, 2009, EAN : 9782930394145.
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Texte intégral

1Albert Piette est un ghostbuster ! En réalité, il est anthropologue, professeur à l'Université d'Amiens et chercheur rattaché au Groupe de Sociologie Politique et Morale (EHESS-CNRS). Mais, comme tous les anthropologues sérieux, il chasse les fantômes. Comme tant d'autres, il cherche, entre les filets ténus de la doxa parménidienne (vous savez, le fameux « ce qui existe existe et ce qui n'existe pas n'existe pas »), la part toujours insaisissable de l'ombre, de la part sauvage, du fantôme à l'œuvre dans l'existence humaine.

2Dans L'acte d'exister, il fait œuvre didactique et synthétise tous les chemins heuristiques empruntés par ses recherches antérieures. Et de toutes ces voies, il récapitule, pose et appelle (invente ?), sous nos yeux, une nouvelle et fascinante manière de regarder les hommes vivre... et leurs fantômes s'agiter : la phénoménographie existentiale. Pour comprendre de la plume de l'auteur ce qu'il faut en entendre :« Plutôt que de comparer, de rassembler des attitudes, des gestes, des postures dans des descriptions synthétiques en vue de comprendre des groupes, des cultures, des sociétés, la phénoménographie tente de capter la présence humaine selon ses diverses expressions d'engagement dans une situation où un individu s'accorde avec d'autres sur un enjeu collectif et en même temps laisse apparaître un ensemble de gestes et de comportements non attendus. » L'acte d'exister est bel et bien un ouvrage-manifeste de cette phénoménographie que l'on voit se déployer à travers différentes approches de terrain et relatives aux sujets de recherche de Piette. Ces sujets nous sont présentés via des exercices, des problèmes d'observation que Piette nous pose comme ils se sont posés à lui.

3Ces approches méthodologiques sont patronnées lors de deux chapitres d'introduction par Pessoa, Merleau-Ponty et Heidegger. A lire leur nom, on comprend que cette phénoménographie se veut une analyse de ce que fait un homme entre « Etre » et « Etant ». Positionné entre l'homme et l'acte, le regard de Piette investit ce qu'il appelle le « mode mineur de la réalité ». Se dégageant des influences sociologiques classiques - sociologie fonctionnaliste, interactionnismes et même micro-sociologies -, il se veut le regardant-participant radical aux actions existentiales humaines.

41er exercice : nous observons les activités d'un prêtre catholique rencontré lors de ses recherches en anthropologie de la religion. Piette confronte ses observations à la théorie wébérienne de l' « idéaltype ». Et de tirer la conclusion de la validité weberienne tout comme de son inachèvement. «Et ce sont bien les éléments qui viennent en plus par rapport à l'ideal-type qui nous intéresse ». « Le jeu des négociations », « des oscillations » dans les rôles, « des suppléments » d'actions organisent des répétitions, des différences des continuités dans l'acte d'exister. Piette est ainsi persuadé de la fécondité de l'observation de ces répétitions et de ces discontinuités. Pour lui, la tendance centrale est une abstraction tandis que les variations sont la réalité.

5Le 2e exercice est associé à son travail sur la fête traditionnelle des Gilles dans le Nord de la France. Grâce à son travail ethno-photographique lors de ces défilés, il met en lumière ce qu'il entend par « mode mineur de la réalité ». Grâce à la fonction indiciaire peircienne de l'image photographique, il révèle tous les « à-côtés » comportementaux et existentiaux pendant le rituel festif du défilé même. Piette fait exploser l'univocité de la retranscription du réel. Ni discours plaqué sur le réel, ni feuille de route théorique à appliquer, il est une mille-feuille. Et de ce mille feuille, Piette retire le deuxième calque. Sur le papier, tout ce qui était « dans les poubelles » de la représentation sociale : saluts, reconnaissances, indifférences, distractions, mouvements hors narrativité normative de l'événement, etc. Derrière le travail de Piette : G. Bateson (notamment les travaux sur les jeux, les négociations, l'interaction) comme G. Simmel (« Cette partie de l'individu qui n'est pas orienté par la société »).

6Les 3e, 4e, 5e et 6e exercices sont des auto-observations portant sur l'auteur lui-même à différents « moments d'être ». Méconnues en Europe, ces « autographies » sont relativement acceptées dans la communauté scientifique étatsunienne. Et malgré d'évidentes apories et grâce au savoir-faire anthropologique déployé de manière rigoureuse, elles semblent bien avoir leur intérêt et validité heuristiques. Autographe donc, Piette relate des observations et des analyses lors de « moments d'être » de la relation qu'il eut avec son père ; de celle qu'il eut avec ses filles, lorsqu'il les accompagnait à l'école en voiture ; et enfin lors de séminaires qu'il donna à l'EHESS. Ces autographies donnent matière non seulement à explications de méthodes mais également d'analyses. Traductions : des diagrammes associés à des sentiments reconnus par l'observateur (Repos/travail et Appuis/Vide). La visée de Piette est d'identifier et de formaliser les rapports qu'entretiennent les normes comportementales d'existence et leurs co-présences avec des moments de fuites et d'évitements négociés. Autrement dit, comment au cœur de l'acte (l'être), l'on peut plus ou moins habiter l'intentionnalité et l'investissement (l'exister). Comment les normes peuvent servir à se reposer (concept de « reposité » défini pour l'occasion) comme autant d' « appuis » face au réel, qu'il ne s'agit pas d'affronter (mais de négocier dans des transgressions admises) seul dans une angoissante solitude. Le mode minimal de l'humanité se définit donc comme l' « en-deça social ». C'est pour Piette, ce mode là qu'il s'agit de « détecter dans ses différentes strates, qui est à comparer avec d'autres modes de présence d'êtres non humains, vivants ou non vivants, et à propos duquel il importe de s'interroger sur les origines ».

7Mais au fait... Qui sont ces mystérieux êtres, vivants ou non, non nécessairement humains, ces fameux « fantômes » ? Pour Piette, malheureusement un peu trop court dans cette dernière partie - proprement enthousiasmante de son ouvrage - ... les fantômes sont bel et bien ... tout ce qui porte casquette, logo, barbe blanche ou maillot jaune ! Ce sont les dieux qui signalent leurs coprésences lorsqu'il le faut (relations de présence/absence et dans des modalités qui permettent une certaine dose de « reposité » à l'actant via normes, transgressions et/ou négociations), mais aussi l'Université, la SNCF, France Télévision, le Tour de France, etc. Bref tout ce qui « n'existe pas « en soi » de manière visible si ce n'est à travers des allégories, des métonymies, métaphores, synecdoques etc. de collectifs créés et actualisés. Et Piette non seulement d'appeler à un renversement de l'étude socio-ethnologique classique à travers cette anthropologie existentiale « en-soi » mais également d'appeler à une étude formelle des relations de l'acte d'exister dans cette « reposité » ou à travers la « grammaire » de ces relations humaines face à ces « appuis », ces fantômes collectifs.

8A l'ordre du jour, Dieu, la SNCF, les chiens... Chiens qui viennent clore l'essai grâce à un dernier exercice méthodologique. La conclusion de Piette replace alors son anthropologie existentiale dans une tentative de théorisation préhistorique de l'acte de foi. En comparant les résultats de l'éthologie et de l'archéologie préhistorique, Piette vient à suggérer que la « reposité » possible dans l'acte de foi (en Dieu, l'Université ou dans la SNCF) viendrait aux grands singes comme aux Sapiens face à l'énigme de la mort, du deuil. Illustration : un proche est mort ; Le Sapiens comme le grand singe connaissent alors une période de déni. Ce déni leur permettrait de vivre « comme si » et ce « comme si » serait à l'origine de la conceptualisation d'un double possible à la réalité hic et nunc Ce double acceptable mais suspendant la raison permettrait la fameuse « reposité » et signerait l'acte de naissance de notre « homme minimal ».

9Une préface et une postface signées respectivement par un chercheur en sciences cognitives et par une sociologue soulignent avec grande intelligence l'incroyable diversité et les fascinantes perspectives anthropologiques élaborées par Albert Piette...tout comme ses éventuelles limites.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François Lamé, « Albert Piette, L'acte d'exister : une phénoménographie de la présence », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 04 avril 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/968 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.968

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Rédacteur

François Lamé

Éudiant en Master 2 de Socio-Anthropologie à Paris X- Nanterre

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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