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Véronique Le Goaziou, Laurent Mucchielli, La violence des jeunes en question

Laurine Martinoty
La violence des jeunes en question
Véronique Le Goaziou, Laurent Mucchielli, La violence des jeunes en question, Éditions Champ social, coll. « Questions de société », 2009, EAN : 9782353710690.
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Texte intégral

1Dans La violence des jeunes en question, Véronique le Gouaziou et Laurent Mucchielli réunissent et réorganisent des résultats obtenus lors de précédents travaux sur la violence chez les jeunes avec pour objectif de « mettre en évidence et à distance [les] préjugés, pour ensuite commencer à enquêter sur l'objet ». A l'encontre des discours journalistiques et politiques - dont ils montrent la teneur intentionnellement ou inintentionnellement alarmiste, et des terminologies hâtives et abusives - qui constituent le véhicule des préjugés sur la violence des jeunes :"ultraviolence", "violence gratuite", les deux auteurs souhaitent éclairer leurs lecteurs sur les enjeux qui sous-tendent la question, et dresser un état des lieux réaliste de cette violence.

2Dans une veine toute durkheimienne, c'est dans la définition de la "violence des mineurs" que se trouve, selon les deux auteurs, la clé de compréhension du phénomène. Après avoir souligné que, telle quelle, l'expression renvoie à une construction sociale, les auteurs montrent que la seule caractéristique commune entre les différents types de délits est de constituer une infraction pénale. « C'est le droit qui définit la délinquance ». Dès la fin de l'introduction apparait une première explication de la recrudescence statistique de la violence observée chez les jeunes par le droit : incrimination croissante (allongement de la liste des délits), judiciarisation (apparition d'incitations à porter plainte plus systématiquement). Dans un premier chapitre, les auteurs souhaitent montrer que les discours sur la montée des violences jeunes ne datent pas d'hier. Ce chapitre est l'occasion d'un retour sur la criminalité des jeunes dans les années soixante, à travers les statistiques et le regard des premiers chercheurs du CFR-ES (Centre de Formation et de Recherche de l'Education surveillée). De ce tableau détaillé par objet du délit, sexe, origine sociale, les auteurs retiennent deux éléments : la permanence des phénomènes de violence chez les jeunes, qui utilisent simplement des technologies nouvelles pour la commettre; très tôt apparaissent des arguments d'ordre statistique et institutionnel pour expliquer la croissance statistique de la violence des jeunes.

3On peut regretter plusieurs choses. D'abord que l'analyse historique des phénomènes de violence chez les jeunes se réduise à l'étude de ces phénomènes dans les années 1960. Ceci s'explique par le fait qu'il existe à partir de cette période plus de données, ainsi qu'un nombre croissant d'études sur le sujet en France. Mais la démonstration de la constance de la violence chez les jeunes indépendamment des fluctuations des discours alarmistes sur la question manque du coup de souffle. Ensuite, il est regrettable que la discussion sur le recueil des statistiques qui expliquerait la hausse de la violence observée n'apparaisse pas plus clairement; ainsi, le lecteur ne sait jamais tout à fait clairement si les auteurs tentent de démontrer que la violence chez les jeunes a augmenté, ou au contraire/de surcroit si l'accroissement a des causes statistiques. Effectivement, comme ils l'écrivent, « il est difficile de se faire une idée des évolutions et comportements indépendamment de leur construction juridique et sociale ». Le second chapitre a comme objectif de dresser un tableau aussi fidèle que possible des faits de violence commis par les jeunes en France aujourd'hui. Après avoir rappelé la double source des statistiques à leur disposition (judiciaire et auto déclarée), les auteurs commencent par souligner les limites de la fiabilité inhérentes aux types de collecte, et l'intérêt qu'il peut y avoir à confronter les deux sources pour dissiper certains préjugés sur les auteurs présumés de ces actes de violence. Ce passage nécessaire accompli, les auteurs procèdent à la lecture et l'analyse des données. Ils commencent par s'intéresser aux statistiques issues des administrations, plus précisément aux données enregistrées par la Justice et la statistique de police. Alors que la statistique de police fait état d'une explosion de la délinquance juvénile entre 1970 et 2000, les statistiques de la Justice montrent qu'il y a moins de condamnations de mineurs en 2005 qu'en 1985. Cette discordance entre des indicateurs à légitimité équivalente montre que la question de la violence des mineurs est plus complexe que ne la supposent les médias. Cet écart s'explique par l'explosion du recours par le Parquet à la « troisième voie » entre l'affaire classée sans suite et la saisie du juge pour enfant : médiation pénale, classement sous condition, composition pénale, ce qui tend à accréditer l'idée que les crimes commis par les mineurs sont d'un faible degré de gravité.

4Comprendre l'augmentation des violences exercées par les mineurs observées à travers les statistiques de police revient à départager deux thèses : l'augmentation effective, ou l'augmentation liée à une simple augmentation des délations et répressions. C'est ce que les auteurs ont en tête lorsqu'ils font appel aux statistiques autos-déclarées. Ils montrent que les enquêtes en population générale démentent les statistiques administratives, en rappelant toutefois que leur construction est également sujette à discussion, et que leur récolte en France est très récente ce qui limite les possibilités de comparaison.

5Pour les auteurs, ces statistiques et leur confrontation mettent en évidence deux « énigmes »: celle de l'écart observé entre statistiques institutionnelles et auto reportées d'une part, recrudescence des violences observées en 1994-1995 dans les deux types de séries. Avec textes et extraits de circulaires à l'appui, les auteurs entreprennent de répondre à ces énigmes par deux explications: criminalisation et judiciarisation. Les auteurs remarquent un « tournant » dans le code pénal en 1992: la définition de nouveaux crimes renforce ipso facto la criminalité des jeunes. Cette criminalisation des comportements est renforcée par une volonté de judiciariser les rapports sociaux, dans les quartiers et à l'école, qui apparaît dans les circulaires au début des années 1990. Les trois derniers chapitres regroupent des résultats obtenus à partir de l'étude de dossiers judiciaires des Yvelines. Les auteurs reviennent d'abord sur la violence des mineurs. Opérant une relecture sociologique de ces dossiers, ils établissent une typologie des faits et constituent quatre grandes familles de violences : violences simples, infractions sur personnes dépositaires de l'autorité publique, vols violents, agressions sexuelles. Si ces catégories sont descriptives, les auteurs consacrent ensuite l'ensemble du chapitre à lire les évènements incriminés ainsi classés sous un angle compréhensif, résumant des cas à l'appui de l'argumentation. Ainsi en est-il par exemple des agressions contre les enseignants, pour lesquelles les auteurs construisent une sous-catégorisation : la violence contre le professeur recouvre des réalités différentes: celle du jeune contre l'adulte, contre l'autorité, ou encore contre la relation d'apprentissage. Ce chapitre est plus largement l'occasion de permettre de dédramatiser la violence des jeunes, concept flou qui alimente facilement les discours de la peur. De fait, les violences « simples », « interactions très communes [...] aux causes [...] banales et très anciennes », représentent la moitié de ces violences. Finalement, parmi les dossiers étudiés, moins d'un crime sur quatre relève d'un vol ou d'une agression sexuelle.

6Le chapitre 4 s'intéresse au profil des auteurs et victimes de ces violences. Les auteurs disposent de certaines caractéristiques de la population de ces jeunes « criminels » et la comparent avec les caractéristiques de la population moyenne. La surreprésentation des garçons, d'individus de milieu populaire, d'origine migratoire, issus de familles nombreuses, au parcours scolaire et familial difficile les amène à conclure que disposer de ces caractéristiques augmente la probabilité pour un mineur de commettre un crime enregistré par le système judiciaire, sans qu'une étude économétrique permette un raisonnement ceteris paribus. Les auteurs n'insistent pas assez sur le rôle de présélection que jouent les institutions, qui soupçonnent et poursuivent plus systématiquement cette catégorie de la population (alimentant par la même leur propre croyances concernant les auteurs de la criminalité juvénile).

7Les auteurs consacrent la fin du chapitre à l'analyse des caractéristiques sociales des victimes par catégorie de crime. Il en ressort deux résultats intéressants: premièrement, si d'un point de vue judiciaire, la victime est clairement définie par l'action de porter plainte contre l'individu qui sera alors le criminel, cela est souvent moins clair du point de vue sociologique. Ensuite, il existe, suivant les types d'infraction, des ressemblances ou des dissemblances entre agresseur et agressé, qui en disent long sur le type de dynamique inhérente au crime commis. Les violences « simples » seraient caractérisées par un conflit en monde clos arbitré par les institutions, tandis que les viols violents seraient semblables à des « actes de prédation » des enfants pauvres « contre les enfants riches » dans une « opposition entre classes sociales »), caractéristiques des vols violents. Le dernier chapitre est l'occasion pour les auteurs de revenir sur le traitement des dossiers par la justice. A travers l'orientation que le Parquet puis le Juge pour enfants donne au dossier, les auteurs établissent une hiérarchie de la perception de gravité des affaires par la justice. L'analyse complexe des données est résumée dans une conclusion très clairement présentée. La conclusion renoue avec le style de l'essai. Les auteurs dénoncent l'existence de deux cercles vicieux, produits du système de prise en charge des violences des mineurs. La judiciarisation entraîne une hausse mécanique des violences enregistrées, qui alimente le sentiment d'insécurité et donc le processus même de judiciarisation: « le système produit lui-même l'augmentation dont il s'effraie et qu'il cherche à combattre ». La concentration des moyens de prise en charge des violences sur les quartiers populaires (tolérance zéro, surveillance policière particulière) contribue à entretenir un conflit profond et à multiplier les infractions envers les personnes dépositaires de l'autorité publique. Les auteurs en appellent donc à une réflexion des pouvoirs publics, tout en soupçonnant les politiques de vouloir continuer à « surfer sur le sentiment d'insécurité d'une partie de la population ». Plutôt que la répression, il s'agit selon eux de mettre l'accent sur la prévention, qui doit être locale et concerner les sphères familiales et scolaires.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laurine Martinoty, « Véronique Le Goaziou, Laurent Mucchielli, La violence des jeunes en question », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 décembre 2009, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/881 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.881

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Rédacteur

Laurine Martinoty

Elève à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon, Agrégée de SES

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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