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Le travail en quête de sens

Fabrice Hourlier
Le travail en quête de sens
« Le travail en quête de sens », Sciences Humaines, n° 210, 2009, Sciences humaines éditions.
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Texte intégral

1Dans le dossier mis en exergue par le mensuel, on peut retenir 3 articles qui permettent de disposer d'outils d'analyse bien pratiques pour observer le monde du travail contemporain. On les trouve en sus d'une double page qui fait le point sur des statistiques récentes concernant le travail (structure de l'emploi par CSP ou par secteur ou encore diminution des heures travaillées par actif au niveau international).

2Dans son article intitulé « Entre contrainte et plaisir », Olivier Cousin analyse le travail des cadres. Pour décrire celui-ci, on peut de moins en moins s'appuyer sur le titre ou la fonction. Le travail de bureau est en grande partie invisible. Il mobilise principalement des éléments cognitifs : le cadre est assis devant un ordinateur ou échange à propos d'un projet ou d'un dossier avec un collaborateur. Pour savoir ce que font vraiment ces cadres durant leur travail, l'auteur insiste sur le fait qu'il faut non seulement effectuer des observations mais aussi mener des entretiens avec des salariés. Au cours de ceux-ci, il faut partir de l'objet (un dossier par exemple) réalisé pour en remonter le fil jusqu'à ses origines et ainsi suivre les étapes de sa réalisation. Le travail des cadres consiste en fait à traduire les demandes implicites contenues dans les orientations données par la direction. Comme bien souvent, il existe une différence entre le travail prescrit et le travail réel. Le cadre doit se battre parfois contre l'entreprise et ses incohérences (politique stratégique ambitieuse et moyens budgétaires alloués le plus souvent réduits, il doit souvent ruser en créant des arrangements éminemment personnels. Cela est la preuve de son autonomie, mais il ne peut pas utiliser cette violation des règles comme un faire-valoir professionnel puisqu'il y a eu justement violation des règles de l'entreprise.

3Les entretiens montrent qu'il y a un décalage entre ce que le cadre considère être le « vrai » travail et son travail réel. Ce dernier est l'addition de plusieurs éléments. Premièrement, ce sont les projets menés et valorisés ensuite dans les fiches d'objectifs lors des entretiens d'évaluation au sein de l'entreprise. Cela explique beaucoup pourquoi le cadre considère cette partie de son travail comme le « vrai » travail. Deuxièmement, il se compose de multiples tâches comme répondre au téléphone ou au courrier électronique, participer à de multiples réunions et avoir des échanges incessants avec ses collègues. Pourtant, ces tâches-là sont assimilées à du parasitage alors qu'elles participent à la réalisation des projets et permettent de gérer les aléas. Pour Olivier Cousin, cette distinction pour les acteurs eux-mêmes reflètent la tension entre le travail qui est source de satisfaction grâce à la marge d'action de liberté dont on dispose et celui qui est avant tout une contrainte et une source de pénibilité.

4Xavier De La Vega revient sur la littérature contemporaine à propos du monde du tertiaire dans son article « À votre service ! ». Dans la relation de services, le client ou l'usager est désormais doté de droits et d'attente face au prestataire. D'ailleurs, pour Jean Gadrey, le prestataire et le client coproduisent les services grâce au dialogue. Par exemple, le médecin fait son diagnostic grâce aux réponses du patient à ses questions ou un employé d'une agence de voyages organise le séjour du client à partir de ces différentes demandes. Jean-Pierre Durand rappelle qu'un troisième acteur se greffe à la relation des services : c'est l'employeur qui poursuit un objectif de rentabilité. Il va imposer des cadences en organisant les horaires des salariés pour qu'ils aient toujours affaire à une file d'attente à traiter. L'employeur peut également imposer un contrôle en demandant à ses commerciaux de rendre compte de leur emploi du temps via un agenda informatique. Enfin, il peut codifier certaines tâches en imposant par exemple dans les centres d'appels un script que les téléopérateurs devront suivre.

5De plus en plus, la relation des services oblige les salariés à gérer un stress relationnel. Ils ont en effet à réaliser un travail émotionnel à la fois sur les émotions du client (en le rassurant ou en le calmant) et sur eux-mêmes en essayant de prendre de la distance par rapport à leurs propres émotions face aux clients. La relation de service peut devenir parfois une relation de servitude. En effet, bien souvent, le client contrôle le travail des employés, éprouve les limites des procédures mises en place et est en droit d'exercer un ascendant sur le salarié. L'employé développe donc des techniques pour ne pas tomber en servitude. À ce titre, la disposition des locaux joue un rôle important : si les employés sont regroupés et relativement protégés par un guichet par exemple, cela leur permet de pouvoir travailler de pair avec leurs collègues. À l'inverse, s'ils sont coupés des collègues et en contact direct avec le client, ils sont seuls à se débrouiller et à créer leur métier.

  • 1 On peut retrouver certaines idées-forces d'André Gorz issus de Métamorphoses du travail

6Dans « Le nouveau monde de la production », Pierre Veltz se demande avec quelle grille regarder le monde de la production contemporaine. Les contrats, les organisations qui constituent les entreprises sont de plus en plus mouvants : c'est un défi aussi bien pour les salariés (confrontés à la flexibilité ou à des changements dans le management) que pour l'analyste. Ce qui est certain, c'est que la production n'est plus pilotée selon le mode industriel où des standards étaient imposés et la planification coordonnée minutieuse. Aujourd'hui, la production est réalisée à la fois selon des mots d'ordre et des objectifs et par une mise en concurrence des producteurs. Cela laisse les travailleurs de plus en plus autonomes. A l'ère du « capitalisme cognitif » (pour reprendre le titre de l'ouvrage de Yann Moulier Boutang), cela permet de les mobiliser aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise. Le travail est une activité de moins en moins cloisonnée et séparée de la vie privée 1.

7Pour Pierre Veltz, nous parlons souvent du travail en nous référant à un contexte dépassé. Peut-on parler encore par exemple des secteurs secondaire et tertiaire quand une secrétaire dans l'industrie sera rangée dans le premier et un ouvrier de maintenance dans une maison de retraite sera classé dans le second ? Pierre Veltz propose une nouvelle classification qui prend acte de la prégnance des services dans le monde productif et rend mieux compte des buts des organisations productives. A cette fin, il propose de distinguer les activités de contacts, les tâches d'exploitation et de maintenance des équipements et enfin les activités de laboratoire (recherche, création, développement, optimisation et marketing).

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Notes

1 On peut retrouver certaines idées-forces d'André Gorz issus de Métamorphoses du travail

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabrice Hourlier, « Le travail en quête de sens », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 mars 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/953 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.953

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Rédacteur

Fabrice Hourlier

Professeur de sciences économiques et sociales au lycée français de Varsovie

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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