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Philippe Poirrier, René Rizzardo, Philippe Poirrier, René Rizzardo, Collectif, Une ambition partagée ?. La coopération entre le ministère de la culture et les collectivités territoriales (1959-2009)

Igor Martinache
Une ambition partagée ?
Philippe Poirrier, René Rizzardo (dir.), Une ambition partagée ? La coopération entre le ministère de la culture et les collectivités territoriales (1959-2009), La Documentation française, coll. « Travaux et documents », 2009, 526 p., EAN : 9782110975416.
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Texte intégral

  • 1 Avec notamment les projets de suppression de la taxe professionnelle et celui, récemment adopté, de (...)
  • 2 Et d'autant plus d'actualité que les conseils régionaux appelé à être renouvelés ces jours-ci, poss (...)

1A l'heure où les relations entre l'État et les collectivités territoriales semblent plus qu'ombrageuses 1, voici un ouvrage qui permet d'en saisir certaines dynamiques, à partir d'un secteur souvent relégué au second plan des politiques publiques, celui de la culture 2. C'est également l'occasion de donner à voir une autre facette du travail mené au sein du Département des Études et de la Prospective (DEP), ex-SER, du Ministère de la culture et de la communication, plus connu pour ses enquêtes sur les pratiques culturelles des Français. Il s'agit donc ici d'une analyse réflexive du ministère sur son propre passé, via son Comité d'histoire ; exercice dont les limites ne peuvent manquer d'être remarquées.

  • 3 Par analogie avec les « mondes de l'art » analysés par Howard Becker dans son ouvrage qui porte ce (...)

2Guy Saez propose dans sa contribution un panorama de l'évolution de la coopération culturelle en s'efforçant de montrer que, loin de se cantonner à la simple application d'un modèle éprouvé par ailleurs, il s'est développé dans l'action culturelle un modèle singulier en la matière. Celui-ci remonte ainsi au début du XXe siècle avec le développement d'initiatives dans le seul champ du théâtre, telles que le « théâtre national ambulant » de Firmin Génier. La décentralisation théâtrale va réellement se mettre en œuvre dès 1945, dans un premier temps en dehors de tout cadre réglementaire spécifique, sous l'impulsion notamment de Jeanne Laurent, qui crée les premiers centres dramatiques nationaux en région. Vient ensuite la création du ministère de la culture confié à André Malraux, et sa politique de « démocratisation culturelle » qui s'appuie, entre autres, sur deux instruments privilégiés, planification et aménagement du territoire. Michel Guy lance en 1974 le programme des « chartes culturelles » avec les collectivités territoriales intéressées, qui vise notamment à étendre la décentralisation artistique au-delà du seul théâtre, et constitue la base de la politique des « conventions de développement culturel » initiée par Jack Lang. L'auteur analyse alors les « mondes de la coopération » 3, scènes d'interaction nécessaires qui se sont progressivement constituées, à un moment où désormais « l'essentiel des relations entre l'État et [les] collectivités passe par le contrat » (p.31) en matière culturelle avant que cela ne se généralise aux autres secteurs, non sans prêter le flanc à certaines critiques concernant leur caractère de « clubs » très fermés et opaques.

  • 4 Suivant l'analyse à succès de Richard Florida, The Rise of the Creative Class, New York, Basic Book (...)

3A la fin des années 1980, l'État réduit largement ses engagements financiers pour se recentrer sur une mission de « pilotage » et d'évaluation, conformément aux principes alors en essor du New Public Management. Sous l'égide de cet « État qualitaticien », « c'est l'ensemble du territoire qui devient potentiellement patrimonialisable », remarque Guy Saez, et « c'est paradoxalement au label [que délivre l'État prioritairement] de s'adapter et d'intégrer des prescriptions venues en fait de l'expérience locale » (p.33). Enfin, après plusieurs réformes, se met en place au cours des années 1990 une polarisation autour des villes, qui sont érigés en « nouveaux centres de commandement culturel », avec une injonction à s'affirmer comme « villes créatives » 4. Ce qui les conduit non sans quelque paradoxe à devoir s'appuyer de manière croissante sur l'échelon intercommunal pour assurer des investissements qu'elles ne peuvent assumer seules.

  • 5 Alors même que les instruments sont loin d'être politiquement neutres contrairement à une idée répa (...)
  • 6 Sur ce sujet, voir le travail d'Isabelle Bruno, à partir des politiques de la recherche impulsées a (...)

4Après ce premier panorama historique et théorique, Pierre Moulinier revient pour sa part plus en détail sur le processus de contractualisation entre État et collectivités territoriales en matière culturelle. Outre qu'il remarque que « le contrat n'est que la partie formelle de la coopération », et qu'il s'agit donc de ne pas s'arrêter aux documents, il remarque que cette évolution est elle-même à mettre en regard avec les grandes phases de la stratégie de l'État (planification, décentralisation, construction européenne, etc.), même si les différents outils développés dans le domaine culturel s'inscrivent à certains moments à contre-courant de celles-ci. Finalement, s'impose surtout le constat d'un empilement quelque peu désordonné des dispositifs que la plupart des observateurs résument par trois idées : complexité, manque de lisibilité et lourdeur. Autre écueil de cette modalité particulière d'action publique - et qui ne cesse du reste de se renforcer 5-, celui de contribuer à « un émiettement du territoire plutôt qu'à un aménagement solidaire et à un rééquilibrage géographique ». On pourrait même parler de mise en concurrence, conformément à la diffusion des procédures de « benchmarking » 6...

5Philippe Poirier revient pour sa part dans sa contribution sur l'évolution du partenariat entre État et ville en examinant plus particulièrement la thèse commune d'un État jacobin et responsable de l'essentiel de l'impulsion. Il décrit ainsi le passage au cours des cinq dernières décennies d'un « État tutélaire » à un « État partenaire » suivant une évolution qui n'a cependant rien de linéaire. Il montre également que ce n'est pas tant l'affaiblissement de l'État en ce domaine que le renforcement de ses moyens au tournant des années 1980 et l'arrivée des socialistes qui a permis de dépasser un stade expérimental. Il pointe cependant le manque de transparence - et l'excès corolaire de technocratie et de corporatisme- en la matière qu'a encore renforcé le développement de l'intercommunalité, et qui n'est pas sans entretenir un certain populisme.

6La seconde partie offre des données intéressantes pour les chercheuses et chercheurs intéressés aux politiques culturelles puisqu'elle regroupe des points de vues d'élus et de responsables de collectivités territoriales, à différents niveaux, ainsi que d'agents de l'État en charge de ces question. Enfin la troisième partie rend la parole aux chercheurs, qui passent en revue cette question du partenariat dans les différents secteurs concernés : théâtre, monuments, musées, livre, musique, danse, art contemporain, cinéma, mais aussi éducation artistique, montrant ainsi un paysage relativement contrasté et des problématiques qui se révèlent parfois communes, mais aussi largement particulières.

  • 7 Sur cette dernière, voir par exemple l'article récent d'Elsa Vivant, "Inconstance du collectionneur (...)

7L'ouvrage rend ainsi finalement bien compte du travail d'une institution faiblement formalisée et souvent peu connue : le comité d'histoire d'un ministère. Si celui-ci a le grand mérite de réunir et faire dialoguer une certaine diversité d'acteurs, se pose cependant la question du dicible en son sein, et d'une parole « officielle » qui ne cadre pas toujours avec les analyses d'agents, publics ou privés, plus proches du terrain. Quelques angles morts ne manqueront également pas d'apparaître aux lecteurs, à commencer par la mise en concurrence des collectivités territoriales qu'a renforcée la décentralisation, et le rôle particulier des initiatives culturelles dans cette dernière 7. Les malentendus et conflits d'intérêt latents ou éclos entre les différents niveaux paraissent également largement lissés au profit d'un message assez volontariste et « enchanté » de la part des acteurs concernés, rappelant que tout point de vue est nécessairement socialement situé.

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Notes

1 Avec notamment les projets de suppression de la taxe professionnelle et celui, récemment adopté, de la loi réformant l'organisation des collectivités territoriales. Voir par exemple « Le Sénat a adopté la réforme des collectivités locales instituant la création du conseiller territorial », Le Monde, 5 février 2010

2 Et d'autant plus d'actualité que les conseils régionaux appelé à être renouvelés ces jours-ci, possèdent justement certaines compétences dans le domaine, et que depuis 1992, les crédits du ministère sont gérés par les directions régionales des affaires culturelles (Drac) (p.42)

3 Par analogie avec les « mondes de l'art » analysés par Howard Becker dans son ouvrage qui porte ce titre (Paris, Flammarion, 1982)

4 Suivant l'analyse à succès de Richard Florida, The Rise of the Creative Class, New York, Basic Books, 2002

5 Alors même que les instruments sont loin d'être politiquement neutres contrairement à une idée répandue. Voir sur ce sujet l'ouvrage dirigé par Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès, Gourverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences-Po, 2004 ; ainsi que sur la « managerialisation » de l'administration celui de Philippe Bezès, Réinventer l'Etat, Paris, PUF, 2009

6 Sur ce sujet, voir le travail d'Isabelle Bruno, à partir des politiques de la recherche impulsées au niveau européen - A vos marques, prêts,...cherchez !, Bellecombe-en-Bauges, éd.du Croquant, 2008, et plus largement les travaux du séminaire consacré à ce thème qu'elle co-anime avec Emmanuel Didier

7 Sur cette dernière, voir par exemple l'article récent d'Elsa Vivant, "Inconstance du collectionneur ou calcul de l'entrepreneur ?", Politix, n°88, 2009, pp.187-208

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Pour citer cet article

Référence électronique

Igor Martinache, « Philippe Poirrier, René Rizzardo, Philippe Poirrier, René Rizzardo, Collectif, Une ambition partagée ?. La coopération entre le ministère de la culture et les collectivités territoriales (1959-2009) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 19 mars 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/950 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.950

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