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Sylvie Mazzella, La mondialisation étudiante. Le Maghreb entre Nord et Sud

Elieth P. Eyebiyi
La mondialisation étudiante
Sylvie Mazzella (dir.), La mondialisation étudiante. Le Maghreb entre Nord et Sud, Karthala, coll. « Hommes et Sociétés », 2009, 401 p., EAN : 9782811103071.
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Texte intégral

1Avec vingt-deux contributeurs, La mondialisation étudiante explore comment l'enseignement au Maghreb se retrouve partagé entre les prescriptions de la modernité et les réalités du terrain nord-africain. L'ouvrage est né d'un programme collectif de recherches intitulé Etudiants étrangers au Maghreb et dans l'espace euro-méditerranéen. Vers quelle internationalisation de l'enseignement supérieur et vers quelle circulation des compétences ?

2La première partie de cette production collective interroge les transformations dans les mobilités étudiantes du Sud vers le Nord, en se focalisant sur la France, destination habituelle pour les étudiants maghrébins. Dès l'introduction générale, Mazella souligne que la mondialisation s'accompagne d'une homogénéisation culturelle ayant pour référence le modèle anglo-saxon, et que les formes contemporaines de l'économie de la connaissance induisent de fait une harmonisation des cursus universitaires (p.13). La réforme de Bologne, dite LMD, se pose alors comme une réponse européenne au paradigme néolibéral anglo-saxon, tout en suivant ses principes. L'irradiation des standards internationaux sur les pays africains et le positionnement géopolitique du Maghreb en font de surcroit un territoire privilégié pour l'étude de la mondialisation étudiante. C'est pourquoi, géographiquement situé entre le Nord et le Sud, le Maghreb est confronté activement à la question de la mondialisation de l'enseignement supérieur dans les mêmes formes.

3La contribution de Maïten Bel (pp.37-54) s'intéresse à la place des étudiants venus du Maghreb, en France. Pour elle, si les conditions de formation et d'emploi, ou encore la qualité de la formation dans les pays d'origine poussent au départ vers la France, cette dernière offre par ailleurs un cadre d'accueil stimulant l'arrivée des étudiants maghrébins. Mais le cadre institutionnel pour l'accueil des étudiants est tributaire de plusieurs logiques pas toujours cohérentes, et offre une diversité de possibilités (et de contraintes). Il se partage entre logique d'ouverture du marché français aux étudiants maghrébins, et volonté de contrôler l'immigration, une décennie après l'ouverture des frontières universitaires en France (p.55). Les étudiants étrangers en France, répondent de deux logiques migratoires : l'expatriation et l'immigration. La première catégorie se retrouve en situation de mobilité alors que la seconde ambitionne de s'installer carrément, le plus souvent sur les traces de leurs parents. Bien sur, les cursus sont tributaires du type de logique animant chacun des étudiants en situation, ainsi que du niveau d'excellence atteint dans les études. L'analyse de Erlich dégage plusieurs variables de compréhension : les types de formation suivis, l'âge des étudiants étrangers, le genre, l'origine sociale,... - le tout par rapport à leur statut de résident ou d'expatriés-. L'étude statistique de Valérie Erlich, in fine, montre comment la mobilité étudiante maghrébine s'organise autour des deux rives de la Méditerranée, aussi bien avec ses points positifs qu'avec ses effets pervers.

4Plutôt que d'affronter le pouvoir discrétionnaire des services consulaires, les candidats au départ doivent à présent faire face au dispositif Campus-France et s'en remettre à la décision de nouveaux acteurs mandatés par les services culturels de l'ambassade pour procéder à leur sélection. Du fait des barrières financières et géographiques, ainsi que d'une préférence pour les candidats déjà diplômés, notamment en sciences et techniques, comme le montre Alexis Spire dans le troisième chapitre(pp.79-95), le risque pour la France de ne pas attirer les étudiants modestes et/ou excellents existe. Une fois arrivés en France, ils doivent faire face aux contraintes administratives, à l'épineuse question du logement, et trouver un travail salarié, pour ne citer que celles là. Travail salarié souvent trouvé dans la restauration rapide, les services, le commerce « ethnique » ou encore les activités précaires comme le gardiennage, la garde d'enfants et autres (p.125). Sur ce, Wahbi et Charef insistent sur la difficulté pour ces étudiants étrangers de trouver le bon compromis entre études et travail salarié. Ils développent une « culture du lien » (p.127) entretenue dans la mobilité et gérée soit via les moyens de communication modernes, soit grâce à des retours physiques au bercail lords des fêtes importantes. En somme, les compromis sont énormes, pour pouvoir s'investir totalement dans le projet initial, les études. Partis pour étudier, beaucoup se retrouvent dans un emploi précaire pour survivre, et la plupart doivent renoncer à l'excellence, pour pouvoir concilier petits boulots et études. Nouvelle terre d'accueil des étudiants maghrébins le Québec fait face depuis 2003 à une arrivée massive d'étudiants marocains et tunisiens. Sur la base de portraits biographiques de deux marocains diplômés et en situation d'emploi au Québec, Stéphanie Garneau (pp.131-142) montre comment le projet d'immigration peut se poser comme une stratégie pour contourner un déclassement social pressenti dans la société d'origine ainsi que les barrières à l'immigration mises en place par la France.

5La deuxième partie réfléchit sur les modalités de constitution d'un espace universitaire mondialisé au Maghreb. En effet, pour répondre à la nécessité d'une harmonisation de l'enseignement supérieur dans la zone euro-méditerranéenne, chaque pays du Maghreb met en œuvre des processus spécifiques, partagés entre convergences et divergences mais ambitionnant un objet commun. La démocratisation de l'université et sa marchandisation favorisent la diversification des spécialisations et ouvre la porte à l'avènement de nouveaux entrepreneurs privés dans le microcosme de l'enseignement supérieur maghrébin. Ils doivent souvent s'adapter au terrain, parfois en allant à l'encontre des recommandations de la réforme du LMD. Fethi Rekik décriant d'ailleurs que ne se crée une hiérarchie de statuts entre une élite minoritaire et une masse d'étudiants restés au pays. Au Maghreb, si l'Egypte met en œuvre la réforme par « îlots » (p.175) et « par le bas » (p.184), ainsi que le souligne F. Kohstall, et que le Maroc et la Tunisie accompagnent la création d'un secteur privé de l'enseignement supérieur, l'Algérie hésite encore à franchir le Rubicon, trois ans après l'introduction du LMD : certains acteurs craignent un système à double vitesse, comme le souligne Zineddine Berrouche. Le système algérien a besoin d‘une réforme de fond, difficilement applicable dans la situation actuelle (p.171). Kohstall insiste à partir d'une comparaison entre l'Egypte et le Maroc, sur les limites de ces réformes importées (l'alignement des politiques nationales sur les modèles internationaux) et le fait qu'elles ne semblent pas procéder effectivement à la mise à niveau des universités et la construction effective d'une société du savoir. Le royaume Chérifien (Maroc), bien qu'il ait du passer par un plan d'urgence pour adopter le LMD, ainsi que l'explique Ahmed NBelkadi (pp.187-196), partage avec l'Egypte non seulement l'expertise dans les processus de réforme, mais aussi des résultats mitigés (p.185).

6La question de l'employabilité des nouveaux produits du LMD est une interrogation essentielle. Pour y répondre, Fethi Rekik explique à partir du cas tunisien, que si le discours officiel a prôné une démarche progressive et participative de la réforme, sa mise en application s'est déroulée au contraire comme une imposition venue du haut et dirigée à la hâte. Ensuite, de l'idée de l'internationalisation de l'enseignement supérieur, les concepteurs du modèle tunisien n'ont retenu que la lisibilité des diplômes nationaux et/ou l'employabilité de leur stock d'étudiants (p.199). De plus, l'accroissement du flux des étudiants et la quête des filières dites nobles poussent plusieurs tunisiens sur de nouvelles pistes migratoires, notamment l'Europe de l'Est, sans aucune garantie du rapatriement des savoirs acquis. La quête de l'employabilité, le contournement d'un déclassement scolaire pour les moins brillants, constituent quelques causes du départ d'une minorité étudiante tunisienne capable de choisir la migration pour se réaliser (p216).

7La dernière partie de l'ouvrage s'attelle à renverser la perspective d'analyse en proposant d'étudier la figure de l'étudiant étranger au Maghreb. En effet, l'augmentation du flux des étudiants étrangers arrivant au Maghreb, notamment en provenance d'Afrique noire, alors que les maghrébins cherchent à passer de l'autre côté de la méditerranée soulève plusieurs interrogations. Pour plusieurs subsahariens, le Maghreb apparaît comme une alternative à la solution européenne. De fait, étudier au Maghreb est une solution adoptée face aux difficultés à contourner les lois anti immigration en Europe. L'irruption des établissements privés donne une tournure nouvelle à la place centrale du Maghreb, ainsi que le montre Mazella, sur le marché universitaire maghrébin. Mieux, une ethnographie des étudiants subsahariens venus étudier dans les universités, nord africaines montre quelles trajectoires sont les leurs, quelles logiques les structurent et finalement à quels résultats ils parviennent. Au Maroc, la plupart des étudiants d'Afrique subsaharienne arrivent sur la base de bourses offertes au titre de la coopération entre le Maroc et leurs pays d'origine. Ils bénéficient d'infrastructures universitaires relativement proches des normes européennes, dans un pays où l'enseignement supérieur est en expansion et justifie de relations étroites avec des universités mondialement reconnues et matérialisées entre autres par la co-diplomation et la délocalisation des diplômes (p.250). En Tunisie, les ouest africains sont en tête dans la catégorie des étudiants étrangers et doivent le plus souvent passer par des classes d'arabe afin de s'intégrer dans le système.

8Si les subsahariens arrivent pour la plupart au Maroc come boursiers, les mauritaniens répondent plus souvent de stratégies familiales en ce qui concerne leur départ vers la Tunisie. En témoigne leur forte présence (pour ce qui est des mauritaniens) dans des filières comme la médecine, les sciences économiques et de gestion et les lettres et sciences humaines (p.291). Cette diaspora est fortement genrée avec une place de choix pour les femmes. Ould Ahmedou Yacoub parle d'ailleurs de « sur-représentation » en comparaison au système éducatif mauritanien. La mobilité estudiantine se passe également entre pays catégorisés comme avancés. Ainsi, plusieurs marocaines se retrouvent en Tunisie pour s'inscrire dans les filières médicales, après avoir raté leur enrôlement au pays dans ces filières. Ils sont soutenus fortement par leurs familles, notamment financièrement, afin de contourner la forte sélectivité qui prédomine pour l'entrée dans les filières médicales au Maroc. L'inaccessibilité du projet d'études dans le pays d'origine est donc un motif suffisant pour que les parents portent ces projets dans un pays géographiquement proche, et soutiennent donc leurs enfants, d'autant plus que l'enseignement supérieur tunisien s'ouvre de plus en plus aux étrangers.

9La fabrication étudiante de la migration est un autre aspect que Sophie Bava (pp.347-359 explore à partir de l'exemple d'étudiants africains partis étudier dans le monde arabe. En dépit des bourses qui conditionnent le départ pour les ouest-africains, les étudiant ont le choix de s'inscrire dans le privé ou dans le public une fois sur place. Elle insiste sur la place du mérite mais aussi et surtout des relations sociales mises en scène dans le cadre d'associations multiples et assez dynamiques qui agissent en soutien aux étrangers pour les aider à s'intégrer, en l'absence du soutien des représentations diplomatiques. Plusieurs étudiants parfois dévient complètement de leurs objectifs et s'installent dans une migration de longue durée, sans avoir obtenu le diplôme recherché, mais demeurant toujours inscrits à l'université afin de bénéficier des papiers pour demeurer dans la terre d'accueil. Rentrer sans le parchemin serait socialement très mal vécu. Même en ce qui concerne le retour après des études dans le monde arable, l'intégration est très mal vécue, surtout pour les étudiants diplômés dans les filières islamiques. Sylvie Bredeloup part de l'exemple du Burkina-Faso pour éclairer cet aspect.

10Au final cet ouvrage décrit les traits sociologiques et anthropologiques d'une mondialisation étiudiante du Maghreb selon trois perspectives : la mobilité des étudiants nord-africains vers l'autre côté de la Méditerranée, l'Europe ; la mobilité des étudiants maghrébins au sein du Maghreb, et la mobilité des subsahariens vers le Maghreb comme nouvelle terre d'accueil plus facilement accessible que l'Europe emmurée derrière les lois anti immigrations. Ce volume, intéressant et savoureux témoigne de toute une littérature basée sur les statistiques et le terrain dans plusieurs pays du Maghreb, mais jette également les bases de futures études qui j'en suis convaincue, éclaireront mieux les obscurités et les lueurs de la réforme de Bologne (LMD) dans l'enseignement supérieur africain.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Elieth P. Eyebiyi, « Sylvie Mazzella, La mondialisation étudiante. Le Maghreb entre Nord et Sud », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 08 mars 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/944 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.944

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