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Monique Saint-Martin, Mihaï-Dinu Gheorghiu, Bénédicte de Montvalon, Education et frontières sociales. Un grand bricolage

Frédérique Giraud
Éducation et frontières sociales
Monique de Saint Martin, Mihaï Dinu Gheorghiu (dir.), Éducation et frontières sociales. Un grand bricolage, Michalon, 2010, 274 p., EAN : 9782841865192.
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Texte intégral

  • 1 Ce qui fait par contre un peu défaut c'est le travail conceptuel sur les notions de frontière socia (...)
  • 2 Les critères de sélection des enquêtés sont communs à tous les auteurs : classe sociale, stabilité (...)

1L'ouvrage Education et frontières sociales est l'aboutissement d'un travail collectif dirigé par Monique de Saint Martin et Mihaï Dinu Gheorghiu d'une durée de trois ans. Bien que cet ouvrage soit sous-titré essai, il n'en repose pas moins sur des enquêtes approfondies. 1 De longs entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des familles, des éducateurs de l'Aide sociale à l'enfance: au centre du questionnement éducation et expérience familiale au quotidien. 2 Deux oppositions structurent le choix des lieux d'enquête : la première met en regard la capitale française et la province, la seconde oppose au sein de l'agglomération, « quartiers anciens » habités par des classes moyennes et les nouveaux quartiers. Des lieux d'enquêtes variés ont été investis : Noisy-le-Grand, Gennevilliers, Sarcelles, Le havre, Strasbourg, Iasi et sa région (Roumanie), la banlieue de Stockholm, le distrito de Barao Geraldo à Campinas au Brésil, mais qui ont tous pour point commun d'être des espaces urbains marqués par des phénomènes de mobilité de populations.

2A l'origine de cet ouvrage réside l'idée que la notion de frontière est essentielle pour la compréhension des groupes sociaux. Délimitant les contours des groupes, établissant la séparation entre eux et ouvrant des espaces d'échange et de rencontre, la notion de frontière est heuristique pour penser les rapports sociaux entre les groupes. La notion de frontière est ici entendue à la fois dans sa nature matérielle et objective (une rue séparant un quartier pavillonnaire d'un HLM) et symbolique (différences de revenus, de rang, de compétences) : elle est ce qui sépare, met à l'écart. Objective, instituée, implicite ou très visible la frontière est labile et soumise aux jeux des agents sociaux pour la franchir, la contourner. Le chapitre un de l'ouvrage balise le terrain et pose la problématique : Mihaï Dinu Gheorghiu et Denis Merklen proposent un historique et une analyse de la notion de frontière. « Comment les séparations et ségrégations sociales se produisent-elles ? Comment ces séparations organisent-elles la communication entre individus appartenant à des groupes sociaux différents ? Comment les frontières sont-elles édifiées au sein de différents groupes et des familles par un double travail d'éducation des enfants et de recherche de contrôle de leur inscription dans l'espace social ? » C'est au processus de mise en forme des frontières et à leur actualisation que les auteurs de l'ouvrage s'intéressent. Au sein du processus de production et de contournement des frontières sociales, le rôle de l'éducation est primordial. Les auteurs sont attentifs aux formes de bricolages que mettent en œuvre les familles et les individus afin de franchir les frontières.

3Lucette Labache et Daniella Rocha à travers l'examen attentif de trois familles des milieux populaires rendent compte de la manière dont les frontières sociales traversent l'espace social populaire et se manifestent au quotidien. C'est au travers de la reconstruction fine des trajectoires sociales de ces familles que l'on comprend l'importance des frontières. Frontière physique de la banlieue d'abord pour Joëlle née à Créteil qui aperçoit une voie de salut social en trouvant un emploi et s'installant à Paris. Dans un souci de rupture avec ses conditions actuelles, Joëlle investit grandement l'école : elle qui n'a qu'un Brevet d'études professionnelles Carrières sanitaires et sociales, pense que l'école est le moyen pour ses enfants de franchir des frontières sociales qu'elle n'a jamais pu franchir elle-même. Le diplôme, la carrière scolaire constituent des marqueurs forts des frontières sociales. C'est aussi le cas chez les classes moyennes étudiées par Mihaï Dinu Gheorghiu et Daniella Rocha qui montrent que les trajectoires individuelles et familiales sont vécues comme des franchissements de frontières : ainsi en est-il de Florence qui a vécu son divorce comme une émancipation et une invitation à la transgression des frontières sociales (elle commence à faire du théâtre, franchit de nouvelles étapes dans sa carrière professionnelle). Les fractions moins aisées des classes moyennes, marquées par leur origine ouvrière et une expérience de mobilité ascendante voient dans la remise en cause du modèle éducatif traditionnel et la revalorisation des enfants un vecteur de mise à distance à l'égard de leurs origines populaires.

4Dans chacune des études de cas, au centre de la perception des frontières se retrouve l'appréhension de l'autre et l'apprentissage des différences entre « eux et nous ». « Comment apprend-on à reconnaître les frontières ? Comment s'acquièrent le sens des déplacements possibles et le sens des déplacements interdits ? » sont des questions auxquelles les auteurs tendent de répondre. L'étude de Barbara Bauchat et Monique de Saint Martin montre que les frontières passent également au sein des groupes. Ainsi la frontière qui sépare la bourgeoisie ancienne et établie d'une bourgeoisie plus récente est fortement ancrée dans les esprits et dans l'espace : s'opposent des bourgeoisies à fort ancrage territorial et d'autres plus cosmopolites et mobiles, résultat de mobilités professionnelles. La conscience d'appartenir à la bourgeoisie et la nécessité de vivre dans un entre-soi social paraît chez les enquêtés assez forte (ainsi de la famille de Cécile et Nicolas), elle l'est encore plus chez les familles des bourgeoisies anciennement installées à Strasbourg. L'appartenance à la bourgeoisie se marque assez fortement par une ségrégation urbaine. L'éducation est un objet de vigilance importante de la part des familles.

5La perspective comparative offerte par le chapitre sept (Ana Maria Almeida, Mihaï Dinu Gheorghiu, Pascale Gruson, Elisabeth Hultqvist) est stimulante, on regrettera cependant que les cas de la Roumanie, de la Suède et du Brésil soient cantonnés en un seul chapitre final. Autre point fort de l'ouvrage, la large place laissée aux extraits d'entretien, à la reconstruction des trajectoires familiales et scolaires des personnes interrogées. Chaque « monographie » est ainsi détaillée et très parlante.

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Notes

1 Ce qui fait par contre un peu défaut c'est le travail conceptuel sur les notions de frontière sociale, insuffisamment définie, celle de bricolage et d'éducation.

2 Les critères de sélection des enquêtés sont communs à tous les auteurs : classe sociale, stabilité ou instabilité de la situation sociale, présence dans la famille d'un enfant au moins de 12 à 21 ans.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédérique Giraud, « Monique Saint-Martin, Mihaï-Dinu Gheorghiu, Bénédicte de Montvalon, Education et frontières sociales. Un grand bricolage », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 mars 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/948 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.948

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Rédacteur

Frédérique Giraud

Allocataire-monitrice à l’ENS de Lyon, doctorante au Centre Max Weber, équipe DPCS (Dispositions, Pouvoirs, Cultures, Socialisations). Frédérique Giraud est rédactrice en chef de Lectures.

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