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Jean-Michel Faure, Sébastien Fleuriel, Excellences sportives. Économie d'un capital spécifique

Roger Establet
Excellences sportives
Jean-Michel Faure, Sébastien Fleuriel (dir.), Excellences sportives. Économie d'un capital spécifique, Éditions du Croquant, coll. « Champ Social », 2010, 256 p..
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Notes de la rédaction

L'introduction est à lire en ligne sur le site de l'éditeur

Un site à visiter : Les éditions du Croquant

Texte intégral

1Les performances exceptionnelles obtenues par les champions de tous les sports posent le problème du statut social réel des compétiteurs de haut niveau, de sa reconnaissance sociale et de sa consécration économique. C'est à quoi s'attaque le livre collectif entrepris sous la direction de Jean-Michel Faure et Sébastien Fleuriel sur les "excellences sportives". Afin de rompre avec les visions stéréotypées du passage d'un amateurisme olympico-angélique à un professionnalisme entièrement dévoyé par les puissances de l'argent, les auteurs se livrent à huit études monographiques consacrées à huit sports différents (voile, cyclisme, gymnastique, athlétisme, football, équitation, rugby, ski). A chaque fois, il s'agit de travaux originaux fondés sur un matériau empirique de grande qualité (entretiens semi directifs, questionnaires, observation directe, dépouillement des archives de club). Ces données de première main permettent de relativiser les échos médiatiques, nombreux sur le sujet, des événements les plus spectaculaires.

2La variation des angles d'attaque permet de faire le point sur les problèmes de la professionnalisation dans les différents sports. L'observation des entraînements d'hiver à la compétition nautique réalisée par Marc Pelletier montre la mobilisation des capitaux sociaux antérieurs : les compétiteurs en habitable monotype qui se recrutent surtout parmi les diplômés de l'enseignement supérieur mettent avant tout en avant les nécessités ascétiques de l'entraînement, alors que les compétiteurs en habitable non monotype qui proviennent plus souvent des milieux du commerce et de l'industrie misent sur les vertus de l'autorité managériale. Mais, dans les deux cas, il s'agit de s'approprier des compétences nouvelles propres à l'univers de la voile. Et l'héritage social n'est pas de trop pour « s'amariner ».

3On le ressent aussi dans l'enquête de Nicolas Lefèvre auprès de l'élite du cyclisme : accéder à l'élite suppose un apprentissage systématique du « métier » sous la conduite des « capitaines de route » qui n'a rien à voir avec le fait « d'avaler des kilomètres ». On devine que cet apprentissage autoritaire et ascétique mobilise des capacités sociales répandues surtout dans les classes populaires. Mais il s'agit d'acquérir un capital nouveau et d'apprendre à le négocier dans un univers tout-à-fait différent. «  En 99, je terminais ma deuxième année de contrat et là il y a des équipes qui ont commencé à s'intéresser à moi. Et là on commence à me proposer des salaires aux alentours de 100000 francs, là çà commence à être des gros, gros salaires. Et c'est les premières grosses négociations, et on n'est pas forcément prêt à négocier des sommes comme çà parce qu'on ne sait pas. Quand c'est comme çà, souvent on va voir les anciens...En fait c'est les anciens qui nous apprennent à négocier notre salaire. » (p.50)

4Sous des formes différentes dans chaque sport, l'énorme énergie dépensée dans le but exclusif des compétitions est nécessairement sous-tendue par un investissement affectif. Car si l'activité sportive implique les mêmes contraintes qu'une profession ordinaire, elle n'est jamais vécue ou pensée comme telle, peut-être à cause de la brièveté des carrières envisageables. C'est ce qu'exprime ce cavalier devenu propriétaire et dirigeant d'un centre équestre interrogé par Vérène Chevalier et Fanny Le Mancq : «  C'est la passion, la passion qui est un moteur qui fait faire un tas de choses...sans que ce soit pénible, au sens du travail laborieux...cette énergie, cette rigueur dans le travail, mais en même temps passionné, ne m'a pas coûté pour rattraper, par des chemins détournés quand même, une position sociale et professionnelle, sans passer par des écoles, des diplômes. » (p. 169).

5Et les skieurs professionnels ne disent pas autre chose, tel ce champion de 1985 : «  Le sport de compétition n'est pas un travail, ni un emploi, ni une fonction...C'est une passion, un élan, une folie qui mène l'individu au dépassement de soi et de ses limites. Il ne tolère ni calcul, ni concession, c'est un engagement total, immodéré et irraisonnable ». Jean-Michel Faure tire les enseignements généraux de cette référence constante à la passion : « Dans la bouche des sportifs, « la passion du sport » est invoquée à propos des réalités pratiques et participe à un travail symbolique d'enchantement d'une expérience humaine incertaine, périlleuse et déterminante pour l'avenir...la passion est au sportif de haut niveau ce que la vocation était au séminariste des années cinquante.

6Les incursions dans huit sports différents permettent de faire le point sur les modes de valorisation de ce capital sportif impérieusement exigé par le niveau des compétitions. Le livre nous met en face d'un espace constamment en chantier. Au professionnalisme du football anglais, qui résulte d'une histoire où les joueurs syndiqués ont joué un rôle décisif qui se manifeste au sein des clubs par le dualisme du commandement entre dirigeants et entraîneurs, (Claude Boli pp. 112 -139) s'opposent les modes de gain indexés aux seuls résultats, d'athlètes livrés à l'affairisme factuel des organisateurs privés. (Manuel Schotté pp 89 - 112) Les repositionnements ne sont pas moins aléatoires pour les cavaliers obligés de vendre quelque bon cheval, pour gagner en capital économique ce que qu'ils perdent en capital sportif et pour les gymnastes astreints à combiner le rigorisme des figures imposées par l'ordre fédéral et des acrobaties de funambule pour survivre sur les marchés du spectacle.

7Les apories des conversions (Sébastien Fleuriel et Joris Vincent, pp. 181-200 ; et Jean Michel Faure, pp.201-248) marquent l'absence d'une véritable reconnaissance professionnelle du capital sportif qui révèle l'autonomie illusoire de l'espace du sport de haute compétition. En mettant au jour la complexité de ces situations et les rapports de force qui les fondent cet ensemble de recherches devraient sensibiliser les agents de l'excellence sportive eux-mêmes en restituant à ces hommes le sens de leurs actes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Roger Establet, « Jean-Michel Faure, Sébastien Fleuriel, Excellences sportives. Économie d'un capital spécifique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 août 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1114 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1114

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Rédacteur

Roger Establet

Professeur émérite de sociologie, membre du LAMES à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme d'Aix-en-Provence

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