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Sylvie Rayna, Gilles Brougère, Eric Plaisance, Collectif, Jeu et cultures préscolaires

Rachel Gasparini
Jeu et cultures préscolaires
Sylvie Rayna, Gilles Brougère (dir.), Jeu et cultures préscolaires, Lyon, Éditions de l'INRP, coll. « Education, politiques, société », 2010, 227 p., EAN : 9782734211587.
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Texte intégral

1Avec le thème du « jeu et des cultures préscolaires », l'ouvrage offre l'occasion de s'interroger sur les conditions d'éducation de la petite enfance. Ce thème fait l'objet de débats vifs et de questionnements scientifiques en France actuellement autour notamment de la question des modes de garde et de l'offre d'accueil des jeunes enfants. Cependant, Eric Plaisance rappelle en préface que la polémique n'est pas nouvelle, puisque Pauline Kergomard défendait déjà à la fin du XIXème siècle une conception de l'école maternelle (dont elle fut la première inspectrice) qui était loin d'être partagée : ni une garderie, ni un lieu d'instruction mais bien un établissement d'éducation.

2L'objectif général du livre est d'aborder la place du jeu dans les institutions dites « préscolaires », accueillant par définition des enfants avant l'âge de la scolarité obligatoire, situées dans différents pays (France, Japon, Norvège, Pays-Bas) : crèches, écoles maternelles, ludothèques, jardins d'enfants. L'approche est en partie comparative, avec la difficulté majeure que comporte toujours ce type de méthodologie, à savoir le fait de pouvoir étudier des organisations différentes dans des sociétés variées. Par ailleurs, les approches des auteurs sont hétérogènes puisque diverses perspectives sont adoptées (théoriques ou empiriques), ainsi que plusieurs entrées disciplinaires (psychologiques, sociologiques, historiques), avec différents objets d'études (jouets, matériels ludiques et usages, situations pédagogiques, attitudes des adultes, expérience vécue des enfants). Malgré tout, les coordonnateurs de l'ouvrage sont parvenus à éviter le danger de la simple juxtaposition de points de vue singuliers et descriptifs, grâce à une utilisation claire et explicite du concept de « culture » qui structure l'ensemble des contributions de l'ouvrage, renvoyant à la fois à la diversité des pays mais aussi aux différentes cultures professionnelles et institutionnelles qui peuvent varier à l'intérieur d'une même société.

3Sylvie Rayna et Gilles Brougère resituent en introduction l'étude du jeu relativement à ce concept de « culture » et rappellent combien il ne s'agit pas d'une pratique universelle chez l'enfant, contrairement à une approche trop naturalisante imposant l'évidence de la présence du jeu dans les structures préscolaires. Le thème de l'accueil de la petite enfance a déjà été travaillé dans des recherches antérieures de Sylvie Rayna (maître de conférences en sciences de l'éducation). Gilles Brougère (professeur en sciences de l'éducation) a quant à lui rédigé plusieurs ouvrages sur le jeu et l'éducation qui font référence. On peut souligner le très grand intérêt de son texte « Cultures préscolaires, discours et pratiques du jeu », chapitre 1 de l'ouvrage, qui explicite le terme de « culture » dans ses dimensions liées aux politiques d'éducation, aux représentations de l'enfance et aux pratiques professionnelles, tout en soulignant que « la culture en tant que telle n'existe pas », c'est « une catégorie qui permet de référer à une double logique de différenciation et d'identification. A travers une culture scolaire, l'enseignant français se construit une identité à la fois professionnelle et nationale et se distingue des autres façons d'être enseignant » (Brougère, p.17). L'expression même de « culture préscolaire » est problématique puisque certaines cultures nationales insistent sur le scolaire, d'autres sur une prise en charge par la famille (même si en général dans les dernières décennies on a assisté à la généralisation et l'acceptation d'une prise en charge du jeune enfant en dehors du foyer familial).

4La perspective adoptée de comparaison diachronique et synchronique, permet de relativiser les choix institutionnels et les options pédagogiques de notre pays, de mieux en prendre conscience et de les interroger. Le modèle de l'école maternelle à la française n'est bien sûr pas universel, notamment dans sa dimension scolaro-centrée qui s'est accentuée depuis les années 1990 avec l'importance prise par l'évaluation. Mais au-delà de ce constat, l'ouvrage s'interroge sur l'apparent consensus concernant l'importance du jeu dans les structures préscolaires, consensus derrière lequel circulent finalement différentes conceptions et pratiques entre les pays (par exemple, les adultes de la crèche interviennent plus dans les jeux des enfants au Japon qu'en France, selon Miwako Hoshi-Watanabe & Sylvie Rayna) et également au sein de chaque société : en France, si les adultes de la crèche valorisent l'autonomie, les professionnels de ludothèque adoptent une attitude de « disponibilité » tout en aidant les enfants dans l'utilisation des jouets qui sont en congruence avec l'univers culturel enfantin (Nathalie Roucous & Nadège Haberbush), alors que l'école maternelle accorde une place très minime au jeu renvoyé aux cours de récréation, élimine les jouets qui ne sont pas scolairement « acceptables » (jouets guerriers par ex.), voire même organise la disparition du jeu dans le scolaire (Gilles Brougère). Le jeu a toujours rencontré une frilosité en France depuis le XVIIème siècle et les convictions de Pauline Kergomard n'ont guère été entendues, dans sa conception de l'école maternelle s'inspirant de l'éducation familiale où le jeu libre (qu'elle aurait souhaité être « presque tout le programme de la petite section ») et les jouets devaient être centraux (Michel Manson). Enfin même la position de Fröbel, qui incarne une théorie du jeu dans l'éducation préscolaire telle que le Kindergarten aboutit à une exclusion des vrais jouets, dans la mesure où valorisant la « naturalité » de l'enfant, ses « activités spontanées », elle évacue la dimension proprement culturelle du jeu.

5Au terme de la lecture de cet ouvrage très stimulant, on aimerait poursuivre la réflexion avec les auteurs. Par exemple discuter avec Bert van Oers du rôle précis des adultes qui semblent être absents tout en étant présents, dans son analyse de l'utilisation du jeu en primaire aux Pays-Bas qui permet des apprentissages musicaux entre enfants par une « enculturation ludique ». Egalement, ne serait-il pas intéressant de renouveler les recherches de Gilles Brougère sur l'absence du jeu à l'école maternelle, pour observer si des évolutions sont notables ou si la situation n'a pas changé ?

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Pour citer cet article

Référence électronique

Rachel Gasparini, « Sylvie Rayna, Gilles Brougère, Eric Plaisance, Collectif, Jeu et cultures préscolaires », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 janvier 2011, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1246 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1246

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Rédacteur

Rachel Gasparini

Maître de conférences en sociologie, Université Lyon 1 et membre du Centre Max Weber

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