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Hacène Belmessous, Opération banlieues. Comment l'Etat prépare la guerre urbaine dans les cités françaises

Damien Simonin
Opération banlieues
Hacène Belmessous, Opération banlieues. Comment l'Etat prépare la guerre urbaine dans les cités françaises, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2010, 203 p., EAN : 9782707159120.
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Texte intégral

1Avec Opération banlieues, Hacène Belmessous étudie la production politique des « banlieues », avec une analyse socio-économique des politiques sécuritaires actuelles concernant certains quartiers en France. Pour ce faire, il exploite un large corpus de données, constitué d'entretiens avec des responsables administratifs, politiques ou militaires, d'observations des centres d'entrainement de la police et de la gendarmerie, de rapports administratifs, d'articles de presse et d'interviews, de sites et de blogs internet. Son hypothèse est la suivante : « [l]es reconfigurations urbaines organisées sous l'influence de la police relèvent peut-être d'autres logiques que celles des déclarations d'intention d'un nouvel idéal urbain dans ces territoires » (p, 12).

2Après un « scénario de l'inacceptable », imaginé à partir notamment du traitement politique, policier et médiatique des « émeutes de banlieues » de 2006 et du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, H. Belmessous présente le rôle de l'armée, de la gendarmerie et de la police. L'intervention possible de la première dans les banlieues apparaît au début des années 1990, suite à des périodes de révoltes, à une sensibilité accrue aux menaces terroristes depuis le 11 septembre 2001, et à la fin des guerres conventionnelles et l'augmentation des conflits urbains. Se pose alors la question des moyens dont doivent disposer les armées pour assurer la protection du territoire national et l'enjeu spécifique des banlieues comme « forme particulière d'agression » (p 32), D'où l'émergence d'un continuum entre défense nationale et sécurité intérieure, avec des critiques des états-majors à la désignation d'adversaires politiques comme ennemis intérieurs du régime. La gendarmerie, depuis le 3 août 2009, est sous la tutelle du ministère de l'Intérieur, et se voit confier une mission de maintien de l'ordre dans l'espace public (par exemple au Centre national d'entrainement des forces de gendarmerie de Saint-Astier). D'où, là encore, des critiques de certains officiers, refusant certaines techniques de maintien de l'ordre et la guerre intérieure présupposée par leur rapprochement avec la police. Enfin, la police joue un rôle central dans ces politiques sécuritaires, justifiées par la défense de la République contre des menaces terroristes (la Direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne par exemple, constituée de 45000 policiers, gendarmes et pompiers pour 7,26 millions d'habitants). La police nationale française se caractérise alors par une organisation fondée sur la coordination avec la gendarmerie et par l'usage de modes d'action, de matériels et de lexiques militaires. Ce qui met fin à son rôle traditionnel de régulatrice de l'espace public, malgré des critiques son instrumentalisation politique par certains agents.

  • 1 Notamment un rapport commandé par B. Hortefeux à l'Inspection générale de l'administration en 2009, (...)
  • 2 Voir par exemple Tanguy Le Goff (dir.), Vidéosurveillance et espaces publics. État des lieux des év (...)

3H. Belmessous étudie aussi les politiques de rénovation des quartiers d'habitat social et leur modèle d'organisation policier. Il montre notamment le rôle de la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er aout 2003 et de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) (avec un budget de 30 milliards d'euros entre 2004 et 2008 et un programme de démolition de 200 000 logements sociaux). Il aborde aussi la vidéosurveillance, promue dans plusieurs rapports et lois1 pour justifier un financement de 20 millions d'euros de l'État devant permettre de tripler le nombre des caméras au nom de la réduction de la délinquance, alors que son efficacité est toujours contestée2. Les municipalités ne sont pas sans responsabilités : sont entre autres présentés les cas de C. Estrosi qui a instauré à Nice un Centre de supervision urbaine associant différentes techniques de vidéosurveillance et de géolocalisation ou de J.-F. Copé et de sa politique de rénovation urbaine depuis 2004 à Meaux, avec 1107 logements détruits et seulement 519 logements sociaux reconstruits. Enfin, le Plan espoir banlieue fait l'objet d'un chapitre, avec notamment sa présentation le 22 janvier 2008 par C. Boutin et F. Amara ou un discours de N. Sarkozy le 8 février 2008, son fonctionnement par le financement d'associations en fonction de leur acceptation du programme (comme Ni putes ni soumises ou SOS Racisme), et ses effets d'exclusion pour certaines populations du fait de leur exclusion du marché du travail.

4Quelques réserves, enfin, malgré l'intérêt du propos : tout en reconnaissant la richesse et la diversité des matériaux utilisés, on peut d'abord regretter que les raisons de leurs choix n'apparaissent pas toujours. L'analyse de la construction des banlieues manque parfois de recul historique, elle manque également de questionnements sur les catégories politiques ou médiatiques. À l'inverse, une approche plus généalogique pourrait apporter des éléments de comparaison, elle permettrait aussi d'éviter une tendance au complotisme encouragée par le caractère secret de certaines sources concernant la sécurité intérieure et ainsi de ne pas se focaliser sur le rôle individuel de N. Sarkozy depuis le début des années 2000. Enfin, on déplore l'absence, dans cette analyse, de prise en compte des personnes qui vivent dans les « banlieues ». H. Belmessous montre en conclusion ses propres représentations sur son objet : « les habitants de ces quartiers, même les plus jeunes, ne sont pas de dangereux révolutionnaires se préparant à l'insurrection ou des militants de l'autonomie des banlieues. Que veulent-ils en réalité ? La concrétisation de ce droit imprescriptible qui n'arrive pas à s'établirau-delà des périphériques des grandes villes : l'égalité » (p195). Il semble pourtant difficile d'établir le caractère excluant des politiques sécuritaires actuelles sans prendre en compte leurs principes communs à certaines des valeurs républicaines.

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Notes

1 Notamment un rapport commandé par B. Hortefeux à l'Inspection générale de l'administration en 2009, la « loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure » présentée le 16 février 2010 ou la « loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public » adoptée le 2 mars 2010.

2 Voir par exemple Tanguy Le Goff (dir.), Vidéosurveillance et espaces publics. État des lieux des évaluations menées en France et à l'étranger, IAURIF, octobre 2008.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Damien Simonin, « Hacène Belmessous, Opération banlieues. Comment l'Etat prépare la guerre urbaine dans les cités françaises », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 novembre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1190 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1190

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Rédacteur

Damien Simonin

Doctorant en sociologie à l'Ens de Lyon, membre du Centre Max Weber, équipe "Dispositions, Pouvoirs, Cultures, Socialisations", Allocataire de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS)

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