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Michael Young et Peter Willmott, Le village dans la ville. Famille et parenté dans l'Est londonien

Patrick Cotelette
Le village dans la ville
Michael Young, Peter Wilmott, Le village dans la ville. Famille et parenté dans l'Est londonien, PUF, coll. « le lien social », 2010, 188 p., EAN : 9782130578024.
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Texte intégral

1Le village dans la ville est un de ces classiques de la sociologie qui, comme de nombreux classiques, sont peu lus et peu connus dans leur détail. Et pourtant, à l'instar d'autres ouvrages célèbres, ils renferment en eux toute une série d'interrogations et de réponses qui en font toute la richesse. On ne peut donc que se réjouir de la réédition par les Presses Universitaires de France de ce sommet de la sociologie de la famille et de la sociologie urbaine publié initialement en 1957.

2L'ouvrage de Young & Willmott s'inscrit en effet dans ces deux grandes traditions sociologiques. Les deux présentations liminaires, écrites d'une part par Jean-Hugues Déchaux et d'autre part par Hervé Marchal & Jean-Marc Stébé, permettent d'inscrire l'ouvrage dans ces deux courants sociologiques. Jean-Hugues Déchaux rappelle ainsi avec grande clarté l'apport de Young & Willmott à la sociologie de la famille puisqu'ils introduisaient pleinement une approche anthropologique dans l'analyse des familles modernes. Hervé Marchal & Jean-Marc Stébé rappellent de leur côté, mais d'une façon moins convaincante, les conclusions de Young & Willmott en matière de rénovation urbaine. On peut résumer en quelques mots les apports spécifiques de Young & Willmott. Leur analyse d'un quartier ouvrier de l'Est de Londres (Bethnal Green) et d'un quartier récemment sorti de terre pour reloger les plus démunis (Greenleigh) permet de mettre en évidence - notamment par la comparaison - l'importance de la « famille élargie » dans les quartiers populaires. En l'occurrence, Young & Willmott montrent que l'attachement des ouvriers de Bethnal Green à leur quartier s'explique d'une part par leur ancienneté résidentielle et d'autre part par l'existence d'un réseau de parenté notamment centré autour de la mère (des épouses) : « l'ancienneté résidentielle, comme la parenté locale, favorisent chacune la création d'un réseau d'attaches locales, mais lorsqu'elles se combinent l'une l'autre, comme à Bethnal Green, elles exercent une force autrement plus puissance que lorsqu'elles agissent séparément » (p.100). Cette conclusion centrale (« l'interaction entre l'ancienneté résidentielle et la parenté est par conséquent le point crucial de notre présentation », p.99) permet dans le même temps à Young & Willmott de décliner deux conclusions connexes. Premièrement, l'existence d'un réseau fort de parenté dans les familles ouvrières, centré notamment sur la relation entre la mère et la fille (« ma fille reste ma fille pendant toute sa vie »), permet de contredire l'hypothèse classique de Parsons selon laquelle la famille nucléaire moderne serait nécessairement autocentrée. Deuxièmement, le véritable « déracinement » subi par les anciens habitants de Bethnal Green relogés à Greenleigh permet d'illustrer la vanité des tentatives administratives de refonder une ville nouvelle à partir d'une table rase : « si les autorités considèrent que l'esprit d'une entité sociale vaut la peine d'être préservé, elles ne déracineront plus les habitants, mais construiront les logements neufs autour des groupes sociaux auxquels ils appartiennent déjà » (p.172).

3Reste que la force de ce classique réside tout autant dans ses conclusions, novatrices pour l'époque, que dans ses détails. On peut souligner tout d'abord la grande richesse méthodologique de l'enquête, appuyée sur des éléments quantitatifs et qualitatifs. L'ouvrage est ainsi parsemé de rapides analyses statistiques, toutes traitées avec prudence quant à la significativité de leurs conclusions, et d'extraits d'entretiens permettant de prouver la validité des descriptions faites par les auteurs. On ne peut qu'être admiratif devant cette analyse en « va-et-vient » qui, sans parti pris pour une méthode ou une autre, cherche simplement à décrire le monde social. Comme l'expliquent Young & Willmott, « nous passions des tableaux au matériel descriptif pour illustrer et expliquer ce qui avait été statistiquement établi, ou éventuellement affiner une interprétation, ce qui nous ramenait de nouveau aux chiffres pour un complément d'analyse. Parfois aussi nous commencions par une impression tirée d'un entretien, ou par une idée suggérée par une observation quelconque, puis nous retournions aux diverses sources d'informations statistiques pour trouver le moyen de les tester ou de les explorer » (p.182). Ils offrent ainsi un exemple parfait de croisement des méthodes pour permettre une analyse riche. Le deuxième grand point fort de ce classique est de proposer tout au long de l'ouvrage un ensemble d'intuitions fulgurantes invitant le lecteur curieux à approfondir les différentes pistes abordées. Les auteurs prennent ainsi du temps à détailler le fonctionnement du réseau de parenté pour l'obtention d'un nouveau logement, sorte de proto sociologie des réseaux (pages 32 à 34), proposent des analyses permettant de comprendre les modes de cohésion sociale dans un quartier populaire (page 78), exposent les facteurs favorables à la mobilité intergénérationnelle (pages 82 à 87), éclairent le processus de moyennisation par l'uniformisation des attitudes et la croissance de l'individualisme (pages 127 à 145) ou expliquent la difficulté à être un transfuge de classe par l'école dans un quartier populaire (pages 150 à 153).

4Pour toutes ces raisons, on ne saurait donc que recommander la lecture de cet ouvrage, dont l'appellation de « classique » n'est pas usurpée.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Patrick Cotelette, « Michael Young et Peter Willmott, Le village dans la ville. Famille et parenté dans l'Est londonien », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 février 2011, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1257 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1257

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