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Laurence Roulleau-Berger, Désoccidentaliser la sociologie. L'Europe au miroir de la Chine

Pascale-Marie Milan
Désoccidentaliser la sociologie
Laurence Roulleau-Berger, Désoccidentaliser la sociologie. L'Europe au miroir de la Chine, Éditions de l'Aube, coll. « Monde en cours », 2011, 202 p., EAN : 9782815901857.
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Texte intégral

  • 1 Daveluy, Michelle et Dorais, Louis-Jacques (eds.), 2009, A la périphérie du centre: les limites de (...)
  • 2 Boskovic, Alexsandar (ed.) 2008, Other people's anthropologies: Ethnographic practice on the margin (...)
  • 3 Restrepo, Eduardo et Escobar, Arturo, 2005, 'Other anthropologies and anthropology otherwise': Step (...)
  • 4 Ribeiro, Gustavo L. et Escobar, Arturo (eds), 2006, World anthropologies : disciplinary transformat (...)
  • 5 Saillant, Francine (ed.) 2009, Réinventer l’anthropologie? , Montréal: Liber.
  • 6 Les Guanxi 关系 sont des réseaux relationnels permettant la réussite sociale, économique etc. d’un in (...)

1Dans la lignée des riches contributions qui foisonnent dans le champ de la réflexivité en Anthropologie, ouvrant un dialogue épistémique entre le centre et la périphérie (Daveluy, 20091) conduisant vers d’autres anthropologies (Boskovic, 20082 ; Restrepo, 20053 ) ou des anthropologies du monde (Ribeiro, 20064), cet ouvrage de Laurence Roulleau-Berger apporte un nouvel éclairage sur les limites hégémoniques de l’Occident (Saillant, 20095). Le modèle proposé, qui met les pratiques occidentales et chinoises en rapport avec, à la fois, les grandes thématiques de la sociologie, fait ressortir les continuités et discontinuités de sociologie situées. Le principal objectif de l’ouvrage, qui porte sur la désoccidentalisation de la sociologie est d’amener les lecteurs à sortir des carcans universalistes de la science occidentale. L’approche est critique au sens où elle permet de développer un modèle d’analyse des conceptions paradigmatiques de nos sociétés contemporaines par le dialogue. Il n’est plus question de rester cantonné à des provincialismes épistémologiques supposés étanches et qui ne pourraient communiquer. Sa réflexion se découpe en 7 chapitres. Le premier revient sur la construction de ces sociologies situées, faites d’emprunts et d’exclusions (la Chine en particulier). Les chapitres suivants s’intéressent au marché du travail, aux frontières sociales et aux ségrégations urbaines, aux implications de la modernité, au rapport de l’État à ses citoyens, aux stratifications sociales et enfin aux migrations. À chaque fois, l’auteure se soucis de mettre en évidence les parallèles, les différences et les correspondances entre deux sociologies dont la construction du savoir scientifique s’est fait d’échanges, ‘emprunts, mais également d’absences, d’évacuations, et de réexportations (p.31). Si la sociologie s’est enfermée, par le passé, dans une réflexion où les savoirs n’étaient pas cumulables, elle est d’après elle revenue vers un « polythéisme des valeurs » plaidé plus tôt par Max Weber (p.22). En ce sens, ce repositionnement épistémologique permet d’intégrer d’autres paradigmes pour un même objet d’étude. L’universalité du savoir scientifique n’est ainsi plus la prérogative de l’Occident qui se voit provincialisé. Ce sont les faits sociaux qui se voient attribuer des dimensions universelles ou non (p.24). On voit très nettement que des processus de domination ont permis de mettre en avant les sociologies occidentales au travers des dynamiques géopolitiques. On peut donc se demander avec raison si le dialogue des sociologies hégémoniques n’est pas tributaire encore une fois du contexte géopolitique. Le politique chinois ayant marqué durablement la sociologie nationale, il se dégage plusieurs indécisions. Laurence Roulleau-Berger montre que si la sociologie chinoise est issue d’une tradition bien plus longue que ce que le sceau orientaliste a pu laisser croire, elle a été interrompue pendant trente ans. Cela a provoqué une boulimie conceptuelle qui n’a pas manqué de révéler des mésinterprétations puisque l’Occident lui-même débattait encore sur ceux-ci. Néanmoins si le paradigme binaire marquait durablement ces conceptions, Laurence Roulleau-berger indique que la sociologie chinoise se construisait « dans une pluralité des approches théoriques » (p.28). D’ailleurs, elle montre par exemple que les traditions nationales sont marquées chacune par des méthodologies différentes. L’enquête quantitative est, ainsi, encore très prépondérante en Chine, alors qu’elle a fait l’objet de réévaluation en Occident. Cela s’explique, entre autres, par la systématique dimension politique que prends une investigation de terrain en Chine. Les chapitres suivants se focalisent plus sur des faits sociaux contemporains afin d’ouvrir un dialogue épistémique. Retenons que le dialogue entre ces deux sociologies qu’elle propose permet de découvrir une Chine en proie à des problèmes sociétaux tout aussi importants qu’en Occident. Le regard critique de Laurence Roulleau-Berger sur la sociologie occidentale permet de rompre avec le l’idée reçue d’une Chine qui serait plus en proie aux maux sociétaux, du fait d’un régime politique trop souvent caricaturé, que l’Occident. En ce qui concerne la modernité, elle montre comment deux cadres théoriques permettent de penser l’idée de modernisation. C’est une occasion de montrer comment les orientations scientifiques se différencient. Alors que l’intérêt pour les sociologues, en Europe, est de comprendre les processus d’individuation et les épreuves, les chercheurs chinois s’orientent vers l’étude de la souffrance et du self comme partie du nous à travers les processus de guanxiisation6 (p.103). On voit nettement que l’individu est construit sur deux modes différents dans les sociologies européenne et chinoise. Le chapitre 5, où un excès de relativisme aurait pu ternir le propos est objectivement abordé. Elle explique comment sociologues français et chinois pensent le conflit social, les actions collectives et les violences, en dissociant les contextes, du fait « de formes sociétales trop contrastées et de processus trop différents qui les produisent » (p.113). Ainsi, la protestation se dessine dans les deux cas sous des formes différentes. Finalement, la question sous-jacente à cet ouvrage est de savoir s’il est possible d’assurer une pertinence de nos travaux localement et internationalement au prisme univoque d’un provincialisme (hégémonique ou situé) à l’heure d’une ère de la communication effrénée. Son ouvrage permet également de se poser la question vers quoi doit se diriger la sociologie et plus généralement les sciences sociales contemporaines pour transcender ce que l’œil averti, mais néanmoins ethnocentré de par ses toiles de pensées singulières prend pour des évidences. En décolonisant à nouveau le savoir dans un mouvement est-ouest et non plus Nord Sud, c’est à une perspective multisituée que l’auteur s’en remet. Laurence Roulleau-Berger se dégage de tout jugement de valeur pouvant ternir sa réflexivité, en usant d’une écriture sobre et efficace. La lecture « épistémique pluridimensionnelle » de nos sociétés qu’elle propose rend la part qu’il se doit au dialogue, à une sociologie réciproque. Elle amène ainsi la réflexion sans pour autant poser des conclusions hâtives. En ce sens, l’ouvrage est bien plus qu’une contribution académique, à l’usage d’un lectorat spécialiste. Si il est nécessaire d’être familier des termes sociologiques pour comprendre l’enjeu épistémique de l’ouvrage, cela reste une contribution magistrale pour qui souhaite rompre avec les paradigmes étroits et hégémoniques que l’Occident a construits. Un bémol peut être, cependant émis concernant une telle entreprise, lorsque l’on sait souhaitable un travail intellectuel interne à la Chine permettant de proposer une décolonisation du savoir afin d’ouvrir un espace scientifique subalterne.

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Notes

1 Daveluy, Michelle et Dorais, Louis-Jacques (eds.), 2009, A la périphérie du centre: les limites de l'hégémonie en Anthropologie., Montréal: Liber.

2 Boskovic, Alexsandar (ed.) 2008, Other people's anthropologies: Ethnographic practice on the margins, New York: Berghahn Books.

3 Restrepo, Eduardo et Escobar, Arturo, 2005, 'Other anthropologies and anthropology otherwise': Steps to a world anthropologies, framework. London, Sage.

4 Ribeiro, Gustavo L. et Escobar, Arturo (eds), 2006, World anthropologies : disciplinary transformations within systems of power, Oxford ; New York, Berg.

5 Saillant, Francine (ed.) 2009, Réinventer l’anthropologie? , Montréal: Liber.

6 Les Guanxi 关系 sont des réseaux relationnels permettant la réussite sociale, économique etc. d’un individu. Ils sont régit par un certain nombre de règle strictes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pascale-Marie Milan, « Laurence Roulleau-Berger, Désoccidentaliser la sociologie. L'Europe au miroir de la Chine », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 26 avril 2011, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/5241 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.5241

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Rédacteur

Pascale-Marie Milan

Doctorante en anthropologie à l'université Lyon 2 et Laval (Québec) et membre du Crea

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