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Stéphane Beaud, Younes Amrani, Pays de malheur !. Un jeune de cité écrit à un sociologue. Suivi de Des lecteurs nous ont écrit

Linda Tabet
Pays de malheur !
Stéphane Beaud, Younes Amrani, Pays de malheur ! Un jeune de cité écrit à un sociologue. Suivi de Des lecteurs nous ont écrit, La Découverte, coll. « La Découverte/Poche », 2005, 255 p., EAN : 9782707146779.
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Texte intégral

  • 1 C'est un pseudonyme.

1Dans un contexte où le débat sur les zones sensibles se fait toujours sentir, où l'insécurité est le maître mot des programmes politiques et où les « jeunes à la casquette à l'envers » troublent le quotidien de nos concitoyens, Pays de malheur ! tente de remettre de l'ordre. Rendant compte du dialogue entre un sociologue, Stéphane Beaud, et un emploi jeune en bibliothèque municipale, Younès Amrani1, il tente de montrer un autre visage des banlieues et de ses habitants, plus complexe que celui qui nous est offert par le discours médiatique. En effet, cet ouvrage livre un témoignage authentique, bouleversant, à propos du « monde des cités », cassant de nombreux tabous et non-dits. Ecrit sur un ton révolté, il donne la parole à ceux que l'on n'entend jamais et qui sont pourtant les plus aptes à s'exprimer sur ce sujet.

2Cet ouvrage est en fait né d'une réaction de Younès Amrani à un précédent libre de Stéphane Beaud, 80% au bac et après... les enfants de la démocratisation scolaire (2002), qui mettait en avant les conditions sociales de l'échec universitaire et notamment le tabou absolu de l'élimination en douceur de certains élèves après le baccalauréat. Par des entretiens approfondis, Stéphane Beaud avait suivi les trajectoires de quatre jeunes hommes, de ceux que l'on appelle aujourd'hui les « nouveaux Français », pour montrer à la fois leur relatif anoblissement scolaire, mais aussi ce sentiment d'illégitimité scolaire qui les traverse à l'université. C'est à partir de cet ouvrage qu'est née la rencontre entre un sociologue sensibilisé à ces questions de réussite scolaire et de parcours des jeunes issus de l'immigration, et un emploi jeune dont la trajectoire, tout en étant particulière, peut être justement identifiable à celles de beaucoup de ces jeunes.

3La forme de Pays de malheur ! le distingue des ouvrages de sociologie traditionnels : il s'agit en effet d'une correspondance par mails entre les deux hommes, qui n'avait à l'origine pas pour but d'être publiée, ce qui donne sans doute au livre cette authenticité, cette sincérité que le lecteur percevra facilement. Il a aussi le mérite de montrer que toutes les paroles sont légitimes et que tout un chacun est capable de s'exprimer et d'éclaircir parfois le débat public à partir de son vécu et de son expérience personnelle. De plus, il permet de relativiser les discours médiatique et politique, et de porter un regard différent sur ces jeunes de quartier. Par la voix d'une personne qui connaît le milieu pour y avoir vécu, il réconcilie deux mondes éloignés qui n'ont a priori pas lieu de se côtoyer, celui de la sociologie et celui des cités.

4A travers ce livre, le sociologue pousse Younès Amrani à accoucher de sa vie et le pousse à réfléchir sur les mécanismes qui l'ont conduit à certains moments a faire telle ou telle chose. Telle qu'elle se révèle alors, l'expérience de Younès est extrêmement touchante, bouleversante et sur de nombreux aspects je me suis moi-même reconnue, simplement parce qu'après tout, malgré ma trajectoire complètement différente, j'ai connu les personnes que Younès décrit, j'ai grandi avec elles et je sais à quel point leur souffrance est grande. Mais ce qui m'attriste par-dessus tout, c'est que les générations qui arrivent, qui suivent celle de Younès et la mienne aussi, vont vraisemblablement se retrouver exactement dans le même cas. Combien encore de générations sacrifiées ?

5Certains ont vu dans cet ouvrage une médiatisation supplémentaire des récriminations de ces jeunes dont on parle tant (mais dont finalement on ne sait rien), ces jeunes aux plaintes constantes ; d'autres ont peut-être critiqué cette « supériorité » du sociologue qui amène le jeune de cité à la réflexion ; pour ma part j'y ai seulement vu le reflet de mon quartier, que je traverse chaque matin, de ses habitants que j'ai reconnus sans mal et de sa misère parfaitement décrite. Je me suis aussi reconnue à plusieurs reprises dans ses propos malgré un vécu différent, issue de l'immigration également, de père ouvrier tout comme lui mais mon regard féminin change certainement la donne.

6Ma seule crainte serait finalement de voir dans ce livre seulement la trajectoire de Younès et d'en oublier le plus important, c'est-à-dire que Younès n'est qu'un cas parmi d'autres, certes une personne au sens de l'analyse et de la réflexion extrêmement développés, mais qui n'est que le porte-parole d'une cause plus grande. Tomber à l'inverse dans une victimisation des jeunes issus de l'immigration ne conduirait qu'à les stigmatiser encore davantage, qu'ils ne le sont déjà, ce qui constitue l'inverse de ce à quoi prétend ce livre. Dernière réflexion sur l'apport de cet ouvrage : la sociologie a simplement pour but de rendre visible ce qui ne l'est pas, de mettre en évidence certains aspects du monde social, d'en expliciter les causes, c'est au champ politique que revient l'action! Que fait-il ?????

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Notes

1 C'est un pseudonyme.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Linda Tabet, « Stéphane Beaud, Younes Amrani, Pays de malheur !. Un jeune de cité écrit à un sociologue. Suivi de Des lecteurs nous ont écrit », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 octobre 2006, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/312 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.312

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Rédacteur

Linda Tabet

Linda Tabet est étudiante en licence d'histoire et en licence de science politique à l'Université Lyon-2.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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